Clémentine FAÏK-NZUJI
Arts africains. Signes et symboles
De Boeck Université
2000
232 p.
African graffiti
Lévi-Strauss n'avait, on le sait, qu'une expérience limitée du terrain. L'essentiel de son travail consistait à analyser les mythes en tant qu'entités autonomes, susceptibles de fournir un sens satisfaisant et complet par le seul examen de leurs éléments internes. Rien d'étonnant donc à ce que ses ouvrages aient avant tout porté sur les récits et rituels susceptibles, conformément au credo de l'anthropologie structurale, d'être appréhendés comme des « langages », en dehors de toute référence au contexte particulier dans lequel ils apparaissent. Très différent est le point de vue choisi par Clémentine M. Faïk-Nzuji dans son analyse des signes et symboles de l'art africain. Elle puise son matériau dans une aire d'investigation géographiquement limitée, située pour l'essentiel dans la zone de l'actuelle République démocratique du Congo. C'est-à-dire dans une culture qui est la sienne et dont elle connaît, par expérience personnelle ou par investigation, la langue, les traditions, la mentalité, la manière de vivre, l'organisation sociale, les proverbes et récits fondateurs — bref tout ce qui fait, dans le sens le plus large, la culture d'un peuple. Ses analyses n'ont pas pour ambition de cerner une hypothétique notion d'« art africain » (ou même d'« arts africains »), mais au contraire de montrer comment les signes et objets ne peuvent être appréhendés qu'à la condition de les resituer dans le contexte où ils sont utilisés.
Certes, il est des symboles qui apparaissent comme des sortes d'« invariants », et que l'on retrouve de manière quasiment identique dans de vastes aires du continent africain. L'auteur en recense dans la deuxième partie de son ouvrage quelques-uns des plus importants. Ainsi, un ensemble ordonné de petits carrés signifie « un grand nombre », « la multitude » ; trois cercles concentriques désignent l'Etre suprême, l'origine première, l'harmonie, la plénitude ; le chevron ou ligne brisée est le symbole de la communication, et ainsi de suite. Ces signes de base, reconnus par tous, sont susceptibles de connaître de nombreuses variantes, par adjonction, suppression, modification ou combinaison de leurs éléments constitutifs. Pourtant, dès que l'on aborde la question de leur interprétation, ces signes d'apparence simple s'avèrent en fait d'une redoutable complexité. Tout d'abord, ils sont susceptibles de revêtir des significations qui, bien qu'organiquement reliées aux yeux d'un Africain, couvrent pour un esprit occidental des champs sémantiques diversifiés et parfois sans rapport évident (on reste d'ailleurs ébahi devant l'extraordinaire capacité des langues africaines à décliner, en d'innombrables variantes, les notions se rapportant aux réalités essentielles — au sens philosophique — de l'existence). Ensuite, leur sens varie selon une multitude de facteurs contextuels, dont la connaissance est indispensable pour qui veut en pénétrer le sens profond. Le fait qu'un signe gravé ou peint, une scarification apparaissent à tel endroit du corps plutôt qu'à tel autre, peut modifier substantiellement son interprétation. Il en va de même de la fonction de l'objet, de sa localisation géographique, des proverbes ou des traditions qui s'y rattachent, des rituels dans lesquels ils prennent place... A cet égard, la partie la plus passionnante du livre est sans conteste la dernière, dans laquelle Clémentine M. Faïk-Nzuji procède à l'analyse très fouillée de quelques ensembles symboliques africains. On retiendra particulièrement celle de deux scarifications féminines et, surtout, celle d'une statuette de chef ndengsh, dont la surface est presque entièrement recouverte de signes (voir illustration). Ceux-ci sont analysés un par un, puis regroupés en ensembles significatifs, et enfin resitués dans une interprétation globale — l'ensemble couvrant pas moins d'une vingtaine de pages... Le grand mérite de cet ouvrage est de proposer des analyses détaillées, claires et didactiques, illustrées de nombreux schémas, qui n'excluent pas les considérations d'ordre plus général, mais les appuyent toujours sur la connaissance du contexte socio-politico-culturel. Tout au plus pourrait-on regretter l'absence de cartes géographiques, qui auraient permis une visualisation plus claire des zones étudiées. Mais ce n'est là qu'un détail en regard de l'apport très riche de cet ouvrage, dont par ailleurs la modestie devrait constituer pour nos beaux esprits, si enclins aux théories brillantes et aux généralisations hâtives, une belle leçon d'humilité.
Daniel Arnaut