Bernard TIRTIAUX
Aubertin d'Avalon
Paris
J.-C. Lattes
2002
370 p.
Il est revenu le temps des cathédrales....
En cette année 1190, tout va mal pour Aubertin d'Avalon. Ses fils sont partis en croisade, sa femme vient de mourir et il a perdu son job. Aubertin était le maître d'œuvre de la cathédrale de Paris, mais son esprit d'indépendance gênait. Pour lui, l'élan des cathédrales est bien plus la manifestation du questionnement spirituel de l'homme qu'un hommage à un Dieu auquel il ne croit pas. On s'est saisi du premier prétexte venu pour l'évincer. Aubertin se réfugie dans son art pour trouver l'apaisement. Il sculpte inlassablement des représentations de sa femme pour rétablir le contact avec elle. Hélas, le chagrin rend moins virtuose. Pendant longtemps, ses sculptures n'apporteront rien d'autre à Aubertin qu'un reflet de son désarroi, mais vaudront au lecteur une réflexion sensible sur la genèse et les vertus d'une œuvre d'art, réflexion qui doit sans doute beaucoup à l'expérience personnelle de l'auteur. Ce sont les Templiers qui vont redonner à Aubertin le goût de l'action en l'intégrant dans un plan secret destiné à relancer leur projet bâtisseur. Ils lui commandent les plans d'une nouvelle cathédrale pour Chartres et le chargent d'incendier le bâtiment existant au moyen d'une parcelle du feu divin conservé en terre sainte. Aubertin accepte, non sans mal, on s'en doute. Par le biais de cette croisade inversée qui conduit Aubertin de Jérusalem à Chartres, Bernard Tirtiaux reconstitue une époque grâce à quelques effets de style éprouvés : l'utilisation de quelques archaïsmes et tournures désuètes, pour le style et le recours aux archétypes de la littérature médiévale pour l'authenticité. Le roman est construit comme un chemin de croix au cours duquel se succèdent des personnages monolithiques qui permettent à Aubertin de se reconstruire et suscitent en lui des sentiments très génériques : colère contre l'injustice, pitié pour la douleur, indulgence pour les faiblesses, tolérance pour les différences. L'espoir renaît forcément en route, grâce à Stella, l'alter ego d'Aubertin, qui sera sa récompense.
Bernard Tirtiaux évoque les enjeux spirituels, politiques et sociaux de l'époque et induit une comparaison avec une situation internationale contemporaine où la religion sert encore de paravent aux exactions des grandes puissances. Mais il y a ici beaucoup moins de choses à lire entre les lignes que dans les fresques d'Umberto Eco, qui caracole lui aussi en tête des meilleures ventes. Ce ne serait pas tellement gênant si le livre prônait une vision du monde moins individualiste. Il est sans doute légitime d'aspirer, à la suite d'Aubertin, à la bonne conscience d'un destin individuel intègre, quitte à ce qu'il soit déconnecté du monde. Cette position est évidemment sincère et bien intentionnée, mais elle ne participe certainement pas à la constitution d'un imaginaire collectif qui aiderait nos sociétés à se secouer.
Thierry Leroy