Marcelle IMHAUSER
Itinéraire bis
Soumagne
Editions Tétras Lyre
coll. Accordéon
2000
Relecture
C’est toujours un exercice un peu étrange que relire un auteur dont on avait parcouru l'œuvre plusieurs années auparavant. Rien n'est assuré à l'avance, rien n'est écrit : certains écrivains m'agréent aujourd'hui — ou mieux : je les comprends — qui m'assommaient hier ; et quelquefois je ne m'explique pas mes indulgences ou mes enthousiasmes passés. Il y va aussi d'un effort de mémoire, non tant du thème ou de l'intrigue, mais des impressions que l'ouvrage avait alors laissées — de ces empreintes, profondes ou non, qu'il avait imprimées en nous. Il y a une dizaine d'années, j'eus entre les mains, de Fernand Imhauser, les Œuvres poétiques complètes publiées par ses amis, livre édité aux Temps mêlés en 1971. J'avais conservé le souvenir d'un verbe fort, tonitruant parfois, qui traduisait une angoisse d'être sans céder, jamais, à la mièvrerie. Je me rappelais des railleries qui étaient une façon élégante de désespérer. J'avais goûté aux claudications d'un Corbière contemporain, à celles d'un pitre désolé qui aurait connu et pratiqué jusqu'au bout l'art des vers. Je savais de sa vie ce qu'on sait généralement — qu'elle fut de quarante ans courte et modérément drôle. Me fascinait, bien sûr, le poète sans presque d'œuvre — deux plaquettes parues de son vivant, un ensemble posthume moins complet que son titre le laissait présager : François Jacqmin avait coutume de dire qu'il n'y a pas de manière plus honnête de procéder, d'être là mais effacé, gommé avant d'avoir existé. Placé, par les hasards de la chronologie, au début du quatrième volume de la Poésie francophone de Belgique de Bosquet et Wouters, Fernand Imhauser méritait bien une plus ample réhabilitation sous la forme d'une réédition de ses principaux textes. C'est chose faite, à présent, par les soins de Francis Edeline et des Editions Tétras Lyre. Renouant avec l'auteur du Phoque mâle, je retrouve globalement ce qui naguère avait retenu mon attention, en particulier cette capacité à faire du poème l'exutoire formellement impeccable de ses révoltes, de ses cris, de ses mélancolies. Poète qui « avai(t) un fort tonneau de verbe à dégueuler », Fernand Imhauser réussit le mieux quand il canalise dans l'alexandrin rimé les images, désirs ou colères qui semblaient le submerger. Il produit alors de saisissants tableaux, moins intimistes qu'ouverts sur le monde dans sa modernité brutale voire déprimante :
Aux frontons des bistros où saigne la musique Le néon vaticine un message électrique.
Tu es nu. Dans le jour sans muscles de six
heures
Tu regardes flâner les trolleybus camus
Avec leurs deux cheveux nourriciers sur le
crâne.
Ce ne sont pas les fleurs mais tes mains qui se
Fanent
La coupe est épuisée avant que tu n'aies bu.
On pourrait songer à l'Aragon des Poètes (« Le monde saigne devant toi/tu marches dans un jour barbare/Le temps présent brûle aux Snack-bars »), on pense plus naturellement à Marcel Thiry, qui fut un peu son mentor. Si, dans ces vers, « ce provincial qui s'égosille », rejoint l'esthétique du poète de Statue de la fatigue, ailleurs il fait plutôt montre d'un sens de la formule, de la répartie amusée ; il s'accorde, le temps de quelques octosyllabes, l'humour un peu grinçant, un peu désabusé d'un Laforgue :
C'est assez pleurniché, ce soir.
L'amour, et caetera, passons.
Avouez que ces deux nichons
Inclinent peu au désespoir.
Rhabillez-vous, mon ange blond.
Et, après tout, il vaut mieux boire.
Aimant les mots, y compris les plus rares, Fernand Imhauser usait de préciosités qu'il désamorçait le plus souvent par un changement de registre, par une remarque abrupte ou familière. Le kitsch, chez lui, ne semblait cependant pas constamment volontaire, et l'on peut sourire de « La flaque du baiser miroite sur vos joues / Les péchés du soleil dans votre ombre s'avouent / Et dans vos yeux ourlés de douceur se répète / L'azur secrètement haubané de comètes ». On peut aussi davantage s'attacher aux déclarations sans apprêt : « Je ne parviens pas à sortir de ce frêle cadavre. Et pourtant qui mieux que moi paré, qui plus tendre que moi, qui plus quelconque », écrit-il à la mort, à cinq jours, de sa petite fille.
Aux textes déjà connus, le Tétras Lyre a ajouté plusieurs inédits, puisés essentiellement dans la production de la maturité, ainsi que des commentaires critiques dus à Marcel Thiry, Marcel Hicter et Hadelin Trinon. Chez le même éditeur paraît également une plaquette de Marcelle Imhauser, l'épouse de Fernand. Le titre Itinéraire bis souligne combien ce sont les chemins de traverse de la poésie qui sont ici empruntés. Il peut s'agir d'un aphorisme saugrenu (« Le soir / le tournesol souffre / de torticolis »), d'un poème sur le Japon que ne désavouerait pas la meilleure encyclopédie, ou de courtes fables sur « Le vieux garçon », « La vieille fille » ou la brûlante question métaphysique qu'est amené à se poser tout girafon. C'est, dirait-on, dada, sans prétention, fait de ces riens qui sont le contraire de l'ennui.
Laurent Robert
Fernand IMHAUSER, Œuvres poétiques, Soumagne, Editions Tétras Lyre, coll. Lyre sans bornes, 2000