Pierre SONIGO et Isabelle STENGERS
L'évolution
Ed. EDP Sciences
2002
154 p.
L'évolution de l'homme vers une nouvelle éthique ?
Pierre Sonigo est vivement contesté par beaucoup de généticiens, notamment pour son précédent livre Ni Dieu, ni gène, pour une autre théorie de l'hérédité. Il publie aujourd'hui L'évolution, avec un texte d'Isabelle Stengers. Sonigo débute par une charge contre l'idée reçue selon laquelle les gènes régissent les fonctions de l'être vivant, et il va jusqu'à dire « l'expérience d'une évolution sans gènes mérite d'être tentée ». Selon lui, le gène participe au caractère d'un individu mais n'en est pas la cause. A gène égal, l'environnement peut modifier héréditairement les caractères. Mais ceci ne devient vrai que si la sélection prend pour cible globale un ensemble complexe, telle la société des fourmis, des abeilles. Au sein de celle-ci, le suicide de quelques animaux, évidemment non favorable à l'individu, peut plaire à la sélection si celle-ci y voit l'intérêt de la communauté. Le suicide devient sacrifice et la sélection ne s'intéresse pas directement aux gènes des individus. Cette thèse présente l'atout d'être en concordance avec la sociobiologie, qui met l'accent sur le fait que l'altruisme, la coopération ne peuvent être favorisés chez un individu isolé mais bien dans le contexte d'une organisation sociale. En biologie, pour conserver l'harmonie fonctionnelle d'un organe, nombre de cellules font harakiri.
Patricia PALERMINI
Misère de la bioéthique
Ed. Labor
Espace de libertés
2002
93 p.
Et l'on pourrait extrapoler à des situations humaines de crise où le sacrifice d'individus devient nécessaire à la survie d'une population. La sélection verrait donc plus loin que les gènes exprimés par des cellules. Isabelle Stengers défend ensuite une « approche spéculative de l'évolution biologique ». Celle-ci, on le sait, n'obéit à aucun dessein, mais va, issue du hasard des mutations, vers où l'environnement la conduit (et c'est ici que l'on rejoint Sonigo). En scrutant l'évolution passée, on a pourtant l'impression de causes sous-jacentes, mais ce ne sont pas des causes dans l'absolu : elles ont dépendu de circonstances et auraient très bien pu ne pas « naître », malgré la présence du gène adéquat qui n'est donc pas le moteur du changement... A l'appui de la théorie de Sonigo, Isabelle Stengers offre l'exemple suivant : le cyclone se nourrit des différences de pression atmosphérique, mais ne se nourrit pas des ravages qu'il occasionne. Au contraire, les vivants se mangent entre eux. Leur évolution résulte d'une invention active de modes de destruction toujours plus efficaces. La question de la destruction n'est pas contingente, elle est partie prenante de l'invention des vivants. Un facteur d'environnement distingue l'évolution humaine de celle des animaux : ce furent les variations de la morale jusqu'à la bioéthique, laquelle n'est pas traitée aujourd'hui comme Patricia Palermini le voudrait. D'où son titre Misère de la bioéthique, avec pour dernier chapitre : « L'impensé politique de la bioéthique ». Prenons d'emblée l'exemple du Comité d'Ethique installé chez nous en 1996. Au grand regret de Patricia Palermini, et au nôtre, les membres de ce comité relèvent des seules disciplines médicale, juridique, éthique. Ainsi n'y apparaît pas le point de vue du sociologue, du psychologue, de l'anthropologue. Et j'ajouterai celui du public, que le Comité devrait écouter en ouvrant des débats. Car, s'il est vrai que l'avant-garde en science médicale se trouve tentée « d'expérimenter » les nouvelles approches techniques sur le malade, il est vrai aussi que celui-ci pousse au risque, quand la simple médecine de routine ne lui promet pas la guérison...
Selon Patricia Palermini, la bioéthique doit protéger avant tout l'autonomie subjective de l'individu. Il s'agira donc de ne pas cibler la personne mais bien le sujet. La personne désigna d'abord le masque, puis le rôle et enfin le statut social. Mais le sujet, lui, concerne une dimension intérieure de l'humain. Par exemple, face à une décision thérapeutique, comment s'assurer que le « consentement informé » a bien atteint l'assentiment psychologique du sujet ? Et quel sera le « je » d'un sujet clone ? Comment se situera-t-il parmi sa famille, même si la société le regarde de l'extérieur avec aménité ?
Lise Thiry