Anne PENDERS
Dimanche
Esperluète
Noville
2004
92 p.
Destin morcelé
A l'heure où, en Europe, les bureaux se vident et le temps semble suspendu, Anne Penders écrit une vie méditative au fil des kilomètres à l'autre bout du monde, du Laos au Japon, en passant, entre autres, par la Chine. Un dimanche sur deux, elle trace quatre ou cinq pages d'un journal intérieur plutôt qu'intime ou de voyage, recommençant tous les jours les mêmes gestes malgré l'errance et l'exotisme. A l'exception de quelques rares petites touches locales, cette prose poétique aurait pu être écrite n'importe où, quelque part dans une vie où tout est en sursis et où on ne fait que passer. Mais l'auteure s'est mise à l'écart et la distance crée des silences, des secrets, des non-dits, l'errance entraîne des ruptures de complicités autant que des bagages de souvenirs, toutes choses parfois lourdes à porter qu'il faut tricoter à la mémoire alors qu'on ne dit jamais ce qu'on voudrait. La vie est ainsi déchiquetée en instants arrêtés — à l'instar des photos qui ponctuent cette errance — un peu flous. Et les phrases se cadencent au plus près de ce désordre — ne pas craindre les contradictions — en rythme syncopé, proche du fonctionnement mental des associations d'idées dans la réflexion, l'observation ou la méditation. Avec le risque du jeu de mots laborieux, du sentiment indéfinissable, de la phrase suspendue avant son terme ou du rapprochement avec un fait, une image inconnus du lecteur. On est ainsi pris dans des bribes d'histoire(s) ou des grumeaux d'émotion(s) sans toujours bien comprendre, d'autant plus qu'on découvre un monde constamment changeant par les yeux de la voyageuse, qu'on lit ce qu'elle veut bien en dire — rien n'existe de ce que l’on n'a pas inventé—, qu'elle dramatise des personnages d'arrière-plan à peine entrevus ou croisés et qu'elle s'adresse régulièrement à un « toi » avec qui elle entretient une relation obscure pour le lecteur, mais difficile, compliquée, et que son éloignement rend d'autant plus improbable.
A l'évidence, ce qui peut constituer la richesse de ce livre peut aussi se muer en défaut. Le voyage met à distance et souligne l'empêchement de se trouver, à la fois, ici, ailleurs et partout. Mais aussi sa durée efface dans l'oubli ou exacerbe ce qui jaillit dans ses instants successifs. Ce ne sont pas des contradictions, mais des contraintes à surmonter autrement qu'en s'y engouffrant pour dire le perpétuel et stérile renvoi de l'une à l'autre. Du reste, personne n'échappe jamais tout à fait à ce sort et il vaut mieux l'affronter que feindre de l'ignorer. Anne Penders a choisi pour elle-même le voyage, mais ce qui vaut pour sa vie n'ajoute rien à un livre qui aurait aussi bien pu être écrit en gardant la chambre. L'autoportrait inquiet se trace ici, un peu brouillon, comme les chemins parcellisent un vaste monde tour à tour miroir et révélateur.
L'attrait des lointains qui motive Anne Penders titillera aussi les lecteurs. Toutefois, si l'attente n'apporte que des questions, bouger ne ramène pas nécessairement les réponses définitives.
Jack Keguenne