Anatole ATLAS
De la Belgique. Phénoménologie de l'absence d'esprit
Avin
Editions Luce Wilquin
2000
274 p.
Une question d'écriture
Composés dès la seconde moitié des années quatre-vingts et publiés dans diverses revues, les textes polémiques d'Anatole Atlas sont aujourd'hui repris dans un recueil dont le titre souligne l'extrême radicalité : De la Belgique. Phénoménologie de l'absence d'esprit. Il n'est sans doute pas moins fantasque, pas moins innocent que cette créature qui fut le masque de l'écrivain Jean-Louis Lippert avant de devenir le personnage de ses romans. Aussi la construction de De la Belgique paraît-elle faussement arbitraire et doit-elle fort peu au hasard. En effet, les textes y sont présentés dans un ordre chronologique inversé et, de la sorte, semblent former une boucle, comme si le premier et le dernier se rejoignaient à la fois par l'indignation qui les a suscités et par les problématiques qui en sont le cœur. Dans nombre d'écrits, récents ou plus anciens, l'écriture est envisagée comme « le lieu spécifique d'une résistance ». Ecrit celui que ne satisfait pas le monde tel qu'il est. Ecrit celui pour qui rien n'est évidemment admissible. Or, il ne suffit pas de coucher sur papier les convulsions du monde. L'écrivain n'est pas le journaliste — ou le comptable — des horreurs contemporaines. Son « pari majeur » est « aussi bien défense de la langue contre (les) charcutages programmés (des bourreaux) que création d'une langue radicalement autre, qui ne puisse se confondre avec le métalangage de ces artistes ratés. » Répondre à ce pari comme tente de le faire Anatole Atlas, c'est commettre à chaque page un attentat contre une pensée conformiste dont les productions s'avèrent aisément commercialisables et assimilables par le public. C'est aussi, paradoxalement, fournir aux contradicteurs des armes pour combattre : puisque c'est une question de langage, on n'argumente pas contre Anatole Atlas, on ne cherche pas à montrer que, peut-être, il a tort ; on se satisfait, beaucoup plus rapidement, de dénoncer l'obscurité ou la confusion de son discours. C'est simple : Anatole Atlas n'est pas dangereux, puisque ce qu'il profère est « incompréhensible ». Un dossier paru dans Digraphe en 1988 rend compte d'une intervention publique d'Anatole Atlas et de son occultation par une partie de la presse belge. Lors d'une « fête impériale » mise en scène par Claude Volter et censée réhabiliter Napoléon III (sic !), Anatole Atlas s'interposa parmi les acteurs et lut un « Aveu » que Le Soir ou La Libre Belgique jugèrent tantôt abscons tantôt même indigne de mériter l'évocation. En d'autres circonstances, il peut paraître inefficace de dénigrer la forme d'une parole pour en évacuer le sens. Il faut alors que soit muet l'aède Atlas, ou que sa prose jaunisse définitivement dans un tiroir. Dans une «Lettre ouverte à Victor Rossel », l'auteur revient sur une censure dont le frappa Le Soir, quotidien qu'il nomme par ailleurs « La Gazette royale » et qui avait refusé, en 1992, de publier une « carte blanche » sur la situation politique au « Zaïre ». De fait, si sa pensée dérange, c'est qu'elle se porte avant tout sur des domaines et des événements qui demeurent tabous en Belgique et qui, dès lors, n'admettent guère d'autre lecture que l'officielle. Ainsi Atlas aborde-t-il la personnalité de Patrice Lumumba dont « on voudrait réduire (l')assassinat à quelque exaction de l'Etat, quand c'est la société belge entière, coloniale et métropolitaine, qui fomenta son élimination physique aussi bien qu'elle arma les basses œuvres ». Ailleurs, c'est la sempiternelle figure consensuelle de la royauté qui apparaît plus qu'écornée. Dans un texte intitulé « Acta est fabula » se donne à lire une étonnante fiction crépusculaire où un Roi des Belges — qui est un double d'Albert II — se prend à monologuer comme s'il était réveillé de tous les songes et se voyait soudain frappé d'une absolue lucidité. Du fond de sa sincérité recouvrée, il est presque naturel qu'il invite son peuple à « poser la question de la souveraineté comme une imposture légitime, la nécessaire duperie du pouvoir ». Du reste ce Roi, qui s'observe dans le miroir, ne règne plus sur rien ni personne : les pouvoirs résident autre part, qui favorisent « l'économie cannibale » et autorisent « l'obscénité de la guerre ».
Du dernier au premier article, Anatole Atlas reste égal à lui-même, s'engageant à lutter contre la bêtise et les totalitarismes avec les armes de l'intelligence et de la poésie. A le lire, il est permis toutefois de se demander qui entendra jamais l'aède. Et cela ne va pas sans engendrer parfois certaine mélancolie.
Laurent Robert