Michel BERNARD
Moi, l'évier et Dieu
Esperluète Editions
Noville-sur-Mehaigne
2000
45 p.
Zinzin du siphon
Dans l'évier, une fêlure. L'eau s'échappe et on pourrait croire à un simple problème de plomberie mais on se trompe, c'est beaucoup plus compliqué que ça, on touche ici à une question d'ordre métaphysique. Pourtant l'eau s'échappe toujours par la fêlure de l'évier et il faut la boucher avec autre chose que de la métaphysique, avec une assiette cassée par exemple et du plâtre. Et après ça il faut tout boucher, tout, c'est une « question de devoir, de morale, d'éthique », boucher toute la maison avec d'autres assiettes qu'il faut casser et coller avec du plâtre. L'histoire de R et de son évier est le premier des contes brutaux que contient Moi, l'évier et Dieu, de Michel Bernard. Ils lui ont été inspirés, comme leur nom le suggère, par des œuvres d'art brut, ils en sont « la trace » dit l'auteur, « la cicatrice des tourbillons qu'ils ont laissé paître [en lui] ». Bien inspirés d'ailleurs : avec rapidité, ils emmènent à leur tour le lecteur dans un tourbillon, verbal cette fois. Des gravures de Thierry Lenoir et de Kikie Crèvecœur accompagnent les contes, s'y enchaînent par barbelés, croix, puzzles, mécaniques en tous genres, le résultat est convaincant. Une nécessité « mathématique », propre à la folie, traverse le livre, nécessité de tout boucher, de tout bouffer, de tout trembler, de faire sans cesse des cacas et de jouer avec ou d'éviter que la chaudière ne produise de la chaleur. On pourrait croire à de la folie pure, pourtant quelque chose distingue la nécessité de ces « contes brutaux » de celle de la folie. Si on y retrouve l'écriture des « fous », la répétition, les obsessions de comptage, de bouchage, de bouffage, on décèle rapidement la logique qui soutient le texte ; l'auteur ne la codifie pas. Cela permet une compréhension plutôt aisée du texte : on rentre directement dans ces histoires. Parmi ces contes brutaux, le dernier, Pénélope, semble avoir un statut différent. Une jeune femme raconte l'histoire de la folie et de l'internement de son père qui ne s'est jamais remis de la guerre du Rif. Ici, la folie est décrite de l'extérieur, ce qui donne un éclairage différent où l'incompréhension à sa place. Incompréhension totale ? Le doute plane quand Pénélope se demande si au fond d'elle « [ses] gènes savent quelque chose ». Et les miens ? C'est probable, mais en cas de fêlure d'évier, désormais, j'appelle tout de suite le plombier.
Noël Lebrun