Rossano ROSI
Approximativement
e Fram
2001
72 p.
Enfin de la poésie !
Qu'est-ce qui fait que la plupart des recueils de poésie que nous lisons nous ombent brutalement des mains ? Sans doute, cette impression de déjà lu — déjà vu et entendu ! Téléphoné presque ! — sans surprise, et répétitif jusqu'au lexique commun qu'on dirait agité dans un shaker comme deux maracas par le premier poète de cordée venu et transmis au suivant comme une flamme droit sortie de l'Olympe le plus convenu qui soit. — Ô ennui ! Bâillements rythmés ! Soupirs scandés ! Préférons-leur mille fois de vivants concerts de mots où dentifrice et torgnole vivent à la colle et le landau d'Eugène devient d'Eugène le landeau !
Avez-vous eu comme Rossano Rosi, une enfance cow-boyarde dans les rues de Liège ? Dites-le, nom d'une pipe ! Dites-le comme lui avec vos mots à vous. Appelez la rue qui vous a vu naître, la rue matrice ! Dites que vous débecquetait le steak ! Que vous leur préfériez Star-Strek — qu'est-ce que je sais ? Evoquez Bob et Bobette, imberbes aux gambettes ! Et vos émois ! Et vos émoites (surtout ça). Parlez de vos bubons. De vos canes. De votre furoncle mal placé — Ô honte ! — Dites votre fragilité, ce sera votre modernité. Mais n'oubliez pas de trouver une langue — votre langue ! — faite de virelangue, de lapsus contrôlés, de durs à dire, de paronomases pour mieux rapprocher ce qu'il y a lieu de faire voisiner ! Continuez. Voyagez ! Relisez Corbière, Cliff et le Rimbaud zutique, tous à peu près autobiographiques. Passez d'un couvent à Salamanque à la musique céleste d'un bip bip de slips et chaussettes dans le tambour d'un lavoir automatique ou du clic-clac d'un kodak jetable au tictac d'un train en écoutant Yma Sumac.
Exigez une poésie sans emphase ni grandiloquence ! Allègre, voire incongrue, dérangeante au besoin, jamais chichiteuse ni pleurnicharde !
Mais bon voilà — comme le constate lui-même ce novateur de Rosi —, impossible de changer de style parfois. C'est pourtant ce qu'on vous demande ! Suivez son (très bon) exemple ! Sans tapage pour autant ! A l'aise comme disait Biaise Cendrars, « Q.I, Q.I » en élevant le niveau, ajoutait Raymond Queneau ! « Cui-cui » fait l'oiseau, et moi c'est la rimette que je tire à la ligne (au point de lui vouer (formule empruntée à autrui) le truc truffé d'ornures à paillette que voici) : à chacun son toc ! Pour l'heure, cela me satisfait, n'ayant pas l'heur d'être doué pour l'encre au vitriol ni ces textes-bombes dont, main en conque à l'oreille et front ceint d'une auréole assez quelconque, d'aucuns aiment à se gaver l'ouïe en se rejouant les boums inouïs qui jadis ont pété sur la planète.) — Oui. J'ai cessé d'aimer le grand ennui...
Jean-Pierre Verheggen