Issa Aït BELIZE
Racines et épines, le fils du péché I
Luce Wilquin
2005
325 p.
Racines et épines, l'atavisme d'une langue têtue
Racines et épines, Le fils du péché est le premier volet d'une trilogie signée Issa Aït Belize qui nous raconte, au-delà de l'histoire d'un petit Marocain d'origine berbère, le Maroc des années soixante, la guerre d'Algérie vue depuis Tanger, les colons espagnols, l'influence française. L'auteur est lui-même né dans une famille berbère du Nord du Maroc, en 1954. Amarouche, gamin pauvre qui vit dans le quartier déshérité du Poblado civil de Tanger, sur une colline face à la Mar chica, est donc un héros proche de lui, nourri aux mêmes sources que les siennes. C'est une plongée dans une culture différente, un monde musulman dont les règles ne nous sont pas connues. Ce monde qui effraie aujourd'hui tant d'Occidentaux devient cependant accessible, par le biais de cette histoire, grâce au regard décalé dans le temps qu'elle nous propose. On approche la vie dans le souk, les leçons coraniques, les difficultés d'une jeune femme qui élève seule le petit garçon qu'elle a eu à 17 ans, mais aussi les positions de repli des indépendantistes algériens, les trafics des petits malfrats, les joies et les malheurs d'un ancien « sergent » franquiste espagnol, les dures lois de l'école qui accepte difficilement un enfant pas comme les autres, un « enfant du péché ». Amarouche est élevé en vase clos par sa mère. Il la voit de ses yeux d'enfant pétrir le pain d'orge au levain, sourire lorsqu'elle peut lui ramener un bonbon acidulé ou ce pain espagnol si blanc qu'on dirait du gâteau. Il vit une vie d'une extrême simplicité, d'une pauvreté très grande mais aussi d'une magnifique richesse d'amour. Pour lui, pour le mettre au monde, elle a laissé sa famille et la montagne pour faire des ménages à Tanger. Aussi ne supporte-t-elle pas que les gosses du quartier le nomment « fils du péché ». L'attitude négative de la société vis-à-vis de ce petit qu'elle aime plus que tout la révolte certainement mais elle est suffisamment fine pour ne pas affronter directement ce monde hostile. Sa tactique à elle, c'est de donner à son enfant l'éducation qui lui a été refusée, de lui permettre d'apprendre à lire, écrire, compter, à parler le français pour qu'il sublime son destin initial et devienne quelqu'un. Le petit garçon volontaire et intelligent séduit par ses facultés le maître de l'école coranique qui, au départ, n'en voulait pas comme élève. Mais, Amarouche, s'il apprend bien et vite, s'interroge de plus en plus sur les raisons du surnom qu'on lui donne dans le quartier. Est-ce possible de vivre sans patronyme dans ce monde-là, est-ce possible de grandir sans connaître son père à Tanger, en 1960 ?
Un vieux soldat retraité de l'armée de Franco prend le gamin en affection et lui donne son nom. Il l'inscrit à l'école laïque et encadre ses premières années. Lorsque le petit garçon trouve enfin la vérité sur le secret de sa naissance et tente de se laisser mourir, « Sargento » fait tout pour lui rendre le goût de vivre...
La première partie de la saga d'Amarouche, l'histoire de son enfance et de son adolescence, compte plus de trois cents pages. Au premier abord, l'écriture d'Issa Aït Belize semble lourde, inutilement métaphorique, voire ampoulée. On a l'impression que l'écrivain travaille « au dictionnaire » pour donner à son texte l'épaisseur des mots compliqués. Si on dépasse l'entrée en matière un peu laborieuse, on se laisse cependant prendre par une écriture qui, vraisemblablement, est marquée par la culture berbère. Le héros ne reproche-t-il pas à sa mère de lui parler « un langage d'adulte, rehaussé de métaphores colorées que le berbère distille indéfiniment, atavisme d'une langue têtue qui persistait en dépit de tout dans sa floraison ». Mise en abyme : oserons-nous formuler à notre tour semblable reproche à l'écrivain ?
Ce jeu avec les beaux mots, les vocables compliqués, ce goût pour les formules métaphoriques appuyées finissent par donner au paysage du Poblado civil tangérois et aux aventures d'Amarouche une certaine touche d'authenticité.
Nicole Widart