Elisa BRUNE
Un homme est une rose
Ramsay
2005
262 p.
Les jeux de l'amour et du savoir
Dans son roman précédent, La tentation d'Edouard, Elisa Brune faisait alterner passages narratifs et épistolaires. Avec Un homme est une rose, elle reprend le même dispositif en le mettant au goût du jour : ce ne sont plus des lettres que s'envoient les protagonistes, mais des courriels. Tout débute par un article que Marianne, chercheuse en sciences humaines, adresse à Michel, universitaire de renom, en vue d'une publication dans la revue qu'il dirige. Ils se lisent l'un l'autre, des affinités ne tardent pas à se révéler entre eux ; de l'occultisme ils en viennent à parler de séduction, puis franchement de sexualité. Au cours de ces échanges, Michel se dépeint comme un être « cynique, grossier et méchant », pressé de passer à l'acte, n'hésitant pas à déclarer : « Parfois, ça sert quand même d'aller vite, d'enjamber ». Marianne, de son côté, préférerait qu'il y mette davantage de formes. Elle-même n'a pourtant rien d'une sainte ni touche, la suite le prouvera. Arrive ce qui doit arriver : après plusieurs tentatives infructueuses Michel obtient qu'ils franchissent le pas et se rencontrent à l'occasion d'un colloque pour lequel il invite Marianne à faire deux interventions : l'une sur le Viagra, l'autre sur les fiascos amoureux. Vient le moment tant attendu, et si longuement postposé, de la rencontre. Surprise : l'homme n'est pas un intellectuel rassis, mais un play-boy aux allures de Richard Gere. D'un autre côté, cet Apollon se révèle être par moments maladroit et gaffeur, sans que cela ait l'air de l'affecter. La narratrice se sent mal à l'aise, elle à qui son éducation a inculqué les bonnes manières. La contenance qu'elle essaie de se donner vole en éclats lorsque Michel lui prend la main et la pose sur son sexe. L'acte qui s'ensuit a d'autant plus de saveur qu'il s'accomplit dans des conditions plutôt scabreuses. Cette scène aura son pendant, si l'on ose dire, lors du retour : cette fois, c'est Marianne qui prend l'initiative et mène la main de l'homme jusqu'à ses profondeurs intimes. Entre ces deux moments culminants, où les jeux sexuels sont décrits de manière à la fois minutieuse et amusante, prend place une scène de lit plus classique, au cours de laquelle Michel se révèle incapable d'honorer sa partenaire. Echec d'autant plus ironique quand on se rappelle l'objet de la communication de Marianne, que Michel lui a personnellement suggéré ; mais contre toute attente, lui-même ne semble pas se formaliser outre mesure de son échec... Avec Un homme est une fleur, Elisa Brune a écrit un roman sur la séduction qui a plusieurs raisons de nous séduire. Une structure simple et solide, bâtie de manière symétrique autour du séjour à Nice qui fait office de pivot. Des personnages qui échappent aux typologies trop rigides : Michel est un mélange de machisme et de délicatesse, d'égoïsme et d'attention à l'autre, qui exerce la fascination des prédateurs, mais se révèle à plus d'un égard attendrissant, quand ce n'est pas pitoyable ; Marianne, sous ses dehors de grande fille un peu coincée, se révèle avoir des choses du sexe une connaissance et un appétit non négligeables, et des idées très précises sur les relations entre hommes et femmes. D'où s'éclaire sans doute le titre en forme d'énoncé : en retournant le topo qui compare la femme à une fleur, il met l'accent sur la féminité de l'homme, sur sa fragilité aussi. En même temps, il le présente comme un objet d'observation, de jugement, en référence à cette science descriptive entre toutes qu'est la botanique. Il nous suggère enfin que pour que sa beauté se révèle, l'homme a besoin qu'on lui prodigue soins et attention, qu'on porte sur lui un regard bienveillant. Peut-être, à travers ses livres récents, Elisa Brune est-elle en train d'inventer quelque chose comme un genre, que l'on pourrait nommer le roman érotico-scientifique — ou comment le désir sexuel entre en résonance (ou en discordance) avec la sphère du savoir. Ce qu'elle-même, ou plutôt son personnage, formule de manière on ne peut plus explicite : « Si j'ai été tentée de rencontrer mon sociologue, c'est que son texte jouait de cette maîtrise légère, inventive, énergique, qui en faisait un objet érotique en tant que tel. [...] Dans tous ces domaines érogènes, les femmes aussi commencent à s'investir. C'est là, au fond, que le débat se tient. Si nous nous déployons habilement, le désir des hommes pourra devenir l'égal de celui des femmes, c'est-à-dire embrasser plus, bien plus que le sexe. »
Daniel Arnaut