Eddy DEVOLDER et Kikie CRÈVECŒUR
Le dodo de Lewis Carroll
Esperluète Ed.
coll. Hhistoires
2004
12 p.
Le sens des livres
On croit d'abord à une erreur de reliure, une page fixée à l'envers. A y regarder de plus près, cependant, on remarque que la vignette de Kikie Crèvecœur accompagnant le texte d'Eddy Devolder dans Le dodo de Lewis Carroll se présente elle à l'endroit, et qu'on y reconnaît distinctement la représentation stylisée d'un dronte ou dodo, dont l'espèce s'est éteinte au XVIIe siècle. A la page suivante, l'image et le texte apparaissent de nouveau tête-bêche, mais les mots cette fois sont lisibles directement, tandis que l'oiseau disparu, qui fait encore l'objet d'une vignette, se retrouve la tête et le bec en bas. Il faut qu'on revienne un peu en arrière pour découvrir le sens de cette inversion, à la fin de la page précédente, où l'on peut lire : « Pour détendre l'atmosphère, Charles Dodgson raconte une petite histoire. Il met Alice en scène. Un lapin en retard passe devant ses yeux. Elle le suit, entre dans son terrier, tombe dans une chambre noire... une boîte à images dans laquelle le monde est renversant. » Toute l'inventivité, toute l'ambition aussi bien, des éditions Esperluète où paraît cette adorable plaquette se manifeste par le biais de ce simple jeu de mise en page à l'efficacité confondante. Dans la plupart des ouvrages publiés par cette maison, il s'agit en effet de dépasser les limites classiques du livre pour un faire un objet signifiant en soi, où s'instaurent de nouveaux dialogues entre les textes et les images. Le récit mené de conserve par Devolder et Crèvecœur, chacun selon son langage propre mais avec un égal talent, évoque la genèse d'Alice au pays des merveilles. Qu'il soit réel ou fantasmé, le rapport privilégié que le révérend Dodgson, alias Lewis Carroll, entretenait avec cette espèce de dindon dodu qu'était le dodo s'explique par le fait que l'éminent logicien était... bègue.
François DAVID et Anne HERBAUTS
La petite sœur de Kafka
Esperluète Ed.
coll. Hhistoires
2004
20 p.
Le propos rejoint ainsi pleinement l'esprit de la collection « Hhistoires », qui s'ingénie à mêler dans un même récit la petite histoire à la grande. Esprit qu'on retrouve avec une tonalité plus grave dans une seconde plaquette parue en même temps, La petite sœur de Kafka, due à François David et Anne Herbauts. Ces auteurs se penchent sur le destin tragique, mais lumineux par sa grandeur morale, d'Ottla Kafka, la sœur cadette de l'illustre romancier, sa préférée, qui a choisi d'accompagner les siens à Auschwitz alors que son mariage avec un chrétien aurait pu la mettre à l'abri de l'enfer réservé aux juifs. Un texte et des dessins tout en sobriété confèrent à son histoire une aura impressionnante.
Les éditions Esperluète ont dix ans. Au vu de leurs réalisations, on aura plaisir à constater que la maturité du savoir-faire n'exclut pas, bien au contraire, la fraîcheur de la création.
Carmelo Virone