Eva KAVIAN
Le rôle de Bart
Bordeaux
Le Castor Astral
coll. Escales du Nord
2005
144 p.
Cigarette, amour et littérature
Le rôle de Bart est déjà le quatrième roman d'Eva Kavian, une des écrivaines les plus présentes sur la scène littéraire belge depuis le début de ce siècle, que ce soit par ses ateliers d'écriture au sein de l'association Aganippé, ses rencontres fréquentes en librairie ou ses publications (cinq en cinq ans : à ses romans, il faut ajouter un recueil de poèmes La nuit, le silence fait moins de bruit paru chez Esperluète éditions). Ses romans se reconnaissent à peine le livre ouvert, à leur manière à la fois tendre et ironique des parler des femmes d'aujourd'hui (des hommes par la même occasion), de leurs histoires d'amour et de solitude. Mais plus encore, c'est dans leur composition qu'on les reconnaît tout de suite puisque pour chacun d'eux, la romancière pose un cadre narratif particulier d'où le récit va naître. Cette fois, la narration est générée par le vocabulaire cinématographique (ce qui se lit dès le titre, puisque le mot « rôle » signifie autant que Bart va avoir sa part dans l'histoire que le fait que le cinéma sera de la partie). On peut ainsi lire, au gré des pages, le making of de l'histoire où la narratrice (qui se prénomme Eva comme l'auteure et qui, comme elle, écrit) nous raconte les coulisses de sa séparation d'avec Bart, les cinq phases pour guérir de cette rupture et aimer celui qui lui succédera, Eléar, inventeur de confitures aux drôles de noms comme : « Rêve d'amour », « Grand amour », « Chagrin d'amour », « Amour salé » ; le hors champ de leur liaison, à savoir ce qu'en pensent, disent les proches de cet amant (son épouse, une amie de cette épouse, sa mère, sa fille...) ; le préfilm (leur rencontre dans une librairie, et la présence, derrière Bart, d'Eléar, déjà) ; un micro-trottoir avec les femmes (et un homme) de la rue des Déportés où réside Eva, peuplée de familles monoparentales ; les plans de raccord (les coups de téléphone répétés d'Eva à un tarologue). Si pour rester dans le langage cinématographique contemporain (ou plutôt dans son service après-vente dans les émissions de télévision), on décidait de faire le pitch (un résumé de quelques mots qui se veut vendeur, autrement dit : le boniment) de ce livre on pourrait dire : une femme tente de guérir d'un chagrin d'amour, d'arrêter de fumer (pour oublier la douleur de l'amour) et d'écrire un roman. Le talent d'Eva Kavian, c'est de capter et d'écrire avec justesse, pour chacune des situations, les détails qui font qu'au moins une fois par page on se dise : c'est comme moi (ou comme un tel ou une telle).
On se demandera juste s'il était nécessaire de jouer de l'identité de la narratrice et de l'écrivaine car rien de bien original n'est dit à propos de l'écriture, de l'autofiction et cela vient un peu compliquer inutilement le livre. C'est comme si Eva Kavian voulait toujours être plus brillante, montrer toujours plus de talent alors que ses livres n'en demandent pas tant, eux qui, avec les mêmes thèmes que ceux des magazines féminins, disent, par l'écriture, ce que ni Elle ni Marie-Claire ne diront jamais.
Michel Zumkir