Martine DEPRET
Les ombres du pinceau
Editions Memor
1996
140 p.
La femme blessée
Une femme — Hermione — saigne. Presqu'à longueur de vie. Du vrai sang. De son corps stigmatisé. Comme son âme, meurtrie par les sentiments. Par sa relation à Evrard, cet homme oiseau sur qui elle se trompait : elle croyait qu'il avait besoin de solitude pour vivre leur amour fou (« du couple fou naît l'obscène du ménage » disait Roland Barthes) mais lorsqu'il la quittait, il rejoignait une autre femme — Pascaline —, une femme avec un foyer, une femme qu'il n'aimait pas, une femme chez qui il se sentait bien. Parce qu'Hermione n'est pas une femme qui entretient une maison, la sienne est moche et comme elle, blessée. Dans ce roman, ce sont les hommes qui ont besoin des maisons. Qui s'y protègent. L'autre homme d'Hermione, Adrien, possède aussi une demeure, une demeure hostile qui ne veut pas être envahie. Comme Adrien qui veut protéger ses fantômes. Parler des maisons, c'est parler de l'amour bien évidemment. Car tout correspond dans ce roman (même si les signes peuvent être mal perçus). Tout mot peut virer à la métaphore. Le degré zéro est banni, comme le quotidien dans les relations d'Hermione, dans la relation de Martine Depret. Aussi le lecteur peut parfois éprouver certaines difficultés à saisir les faits qui provoquent les blessures et, arrivé à la fin du livre, être incapable de reconstituer un tout. En fait, la lecture est à l'image des difficultés que rencontre Hermione pour (se) comprendre et pour ramasser tous les bouts d'elle-même. Pour recoudre toutes les plaies. Au bout du compte, le sang continue à saigner, le sens à s'échapper et les saisons à défiler. Hermione ne guérira jamais vraiment et le roman ne donnera pas de solutions sur ce qu'est l'amour, juste des bribes d'expérience, des affirmations de douleurs. Celles d'une femme en morceaux. Comme l'écriture de Martine Depret, qui passe du je au elle, qui pose les citations comme des fragments de son texte, avec le même statut que les extraits du cahier d'Hermione ou de sa correspondance. L'illusion de la réparation, de la linéarité n'est pas de mise dans ce livre. Si cela nous perd, c'est juste parce que la vie est un peu trop comme ça.
Michel Zumkir