André SEMPOUX
Torquato l'ami d'un autre temps
éd. Luce Wilquin
2002
96 p.
Les parfums du chemin
André Sempoux est un de nos auteurs trop discrets et, sans doute, méconnus. A travers romans, nouvelles ou poèmes, son œuvre se penche sur la sensibilité de l'homme et s'interroge sur cet hiatus entre les aspirations de l'individu et les dysfonctionnements de la société. Son inquiétude est d'autant plus aiguë qu'il cultive le respect pour l'intégrité de l'un et les règles de l'autre ; sa lecture du monde s'avance donc avec prudence, loin des déclarations intempestives. Si sa révolte est manifeste, son expression se fait délicate : qu'on se souvienne de son regard sur la Marche blanche (Des nouvelles de Judas, éd. Les Eperonniers) ou de ce portrait d'un père, métaphore de la figure du tyran (Le dévoreur, idem). Il ne faut pas oublier toutefois que Sempoux est, par ailleurs, un italianisant érudit et c'est sur cette voie que son dernier roman nous entraîne. Qui est le personnage principal de ce roman, le narrateur contemporain ou Le Tasse, ce célèbre poète du XVIe siècle, auteur de La Jérusalem délivrée, que le premier suit à la trace ? Peu importe, les deux se valent sans doute, à des époques différentes, dans des péripéties parallèles. Résumons l'intrigue : un spécialiste passionné du poète décide de faire un voyage qui suivra les déplacements du Tasse (lequel, pour célèbre qu'il soit, fut, à bien des égards, un paria en son temps). Un périple émotionnel qui cherche à s'imprégner de ce qu'a pu connaître celui dont il fait son héros car « savoir est donné à tous ; sentir, non ». Il faut donc quitter les livres et les bibliothèques et rencontrer les lieux. Mais Le Tasse a eu une vie mouvementée et le narrateur a aussi un passé — il y a eu Sandra. Les lieux ne sont donc pas innocents, les souvenirs et les découvertes s'y croisent et s'entremêlent. Sempoux torsade son roman de différents fils : le génie de l'œuvre et la vie de courtisan du poète, le présent et le passé du narrateur et, s'il faut lui faire un petit reproche, c'est que l'écheveau se trouve parfois trop serré et déroute un peu le lecteur, d'autant plus que l'érudition qui sous-tend le texte ne se manifeste que de manière elliptique. Une familiarité avec la géographie de l'Italie et sa situation sociopolitique dans la deuxième moitié du XVIe siècle aide à la bonne compréhension mais il ne faut pas s'arrêter à cette remarque. En effet, même si les ducs d'Esté ou d'Urbin tirent les ficelles du pouvoir, ils ne sont que les personnages d'arrière-plan d'une quête qui demeure avant tout affective ; qu'est-ce qui pousse Le Tasse à toujours fuir et pourquoi le narrateur cherche-t-il à le rattraper ? Le talent, la gloire, le savoir ne sont rien ; on peut les posséder mais se trouver néanmoins fatigué de vivre. Les plaisirs sont fugaces et la réussite a quelque chose d'artificiel ; demeurent les doutes malgré le désir d'avoir voulu faire mieux et les manques, qu'ils soient d'un chimérique paradis perdu ou d'un être cher qui fut « un ange », « l'enchantement de ma vie ». Sempoux n'indique pas le chemin du bonheur, il ne désigne pas l'endroit où on le trouve, il montre magnifiquement comment il faut le chercher.
Jack Keguenne