Guy GOFFETTE
Un manteau de fortune
poèmes
Gallimard
2001
137 p.
Coup de blues
Claudio Magris prétend quelque part (dans Danube, beau livre faussement flâneur) que la poésie, comme le vent, souffle où elle veut, qu'elle ne naît pas de celui ou de celle qui signe le poème. J'ai peine à le croire : qui d'autre que Guy Goffette pour écrire ces poèmes qui se sont pris un méchant coup de blues ? Ou alors : serait-ce qu'on y entend le « vieil enfant rebelle » que l'auteur porte en soi comme un double tantôt, un étranger parfois ? Chichement emmitouflé dans Un manteau de fortune, il tremble encore, cet enfant dont les larmes ont séché — comme plus tard séchera son foutre : plus de quoi faire déborder sa vie...
Il tremble, cet enfant, et imprime à l'écriture du poète le tremblé qui empêche de « trouver la bonne lumière »... On rêve combien « partir est doux », mais on obéit à Rimbaud : « On ne part pas. » On s'inquiète : vaut-il mieux avoir ses deux jambes, ou du génie ? Que faire quand les mots « rabougrissent », que le dérisoire encalmine jusqu'au « Bateau ivre » : « le fleuve aux bateaux impassibles, / où des demoiselles à petits culs rosés, / qui craignent les Indiens, s'exposent nues / aux flèches caniculaires, et rôtissent » ?
Que faire ? Le jeu des mots gomme le désarroi : si « un drame en cache toujours un autre », quelle merveille si « un sein peut toujours en cacher un autre... » Si la pluie gifle la vitre, on s'essaie à y déchiffrer la dactylographie de signes embrouillés qu'elle y trace. L'essentiel : ne pas s'habituer, ni se rouiller, ni s'endurcir : il faut croire qu'Icare noyé finira bien, malgré sa fragilité, par émerger, rien n'étant jamais conclu ; il faut aller à contre-courant du troupeau, être à l'écoute du silence, garder un œil vif qui perçoive « la vivacité de l'ablette / dans le courant », une cheville enserrée dans la résille d'un bas noir, l'ajouré et le frémissement d'une dentelle ; il faut assidûment pratiquer ce « vice impuni, la lecture » (Larbaud) — acte d'amour où un livre s'ouvre et s'offre comme une fille, « au blanc creuset des cuisses » : si ce n'est pas changer la vie, c'est changer de vie. Malgré la mort tapie, toute proche ; malgré les hommes de l'ombre et de l'argent — le marchand, le bourreau —, on ose alors écrire : « J'aime, et le jour est tout neuf. »
Pol Charles