Thierry BELLEFROID
Zestes mondains
Avin
Luce Wilquin
2003
128 p.
Entre Lourdes et Polleur
Après deux romans, Thierry Bellefroid revient avec un recueil de nouvelles aux univers des plus variés : de la (fausse ?) autobiographie à la politique-fiction, du fantasme intime au séisme social. Avec toutefois, pour constante, une écriture légère, primesautière, teintée d'humour et imprégnée de second degré ; une manière, pour l'auteur, de montrer le plaisir qu'il a pris à raconter et d'inviter le lecteur à une connivence dans laquelle on entre volontiers. C'est qu'il y a bien des drames dans le monde mais à le regarder avec un peu de distance, on y découvre aussi une bonne dose de cocasserie. Ainsi suit-on le petit Thierry en vacances à Lourdes avec ses parents (merveilleux père avec sa foi en la Vierge, son brûlant et ce vertige qu'il éprouve même au niveau de la mer !). Il y aperçoit (ou croit voir) Philippe Noiret dans un restaurant puis tombe amoureux d'une jeune espagnole, réincarnation de Bernadette Soubirous. De Noiret, Thierry deviendra un spécialiste, connaissant toute sa filmographie, et il le retrouvera, bien plus tard, dans les toilettes d'un café bruxellois. Quant à la seconde, malgré ses recherches...
Cet autre, dans un manège, devient éperdument amoureux du dos d'une jeune femme qui murmure à l'oreille des chevaux. Mais il est difficile de lier connaissance et plus difficile encore de la (ou... le !) revoir. Jusqu'au jour où, par presse interposée, il apprend qu'elle va épouser l'héritier du royaume. De quoi lui donner l'envie d'apprendre le métier de prince charmant, par correspondance, en cours du soir ou sur le tas. Vandenbrulle, dit VDB, est un journaliste qui s'est rendu célèbre pour sa biographie de VdB (lisez : Vanden Boeynants). Il est approché par un ministre wallon, amateur de bonnes bouteilles, pour collaborer à une manipulation des statistiques en vue de redonner le moral à la Wallonie et de bluffer les Flamands. VDB collaborera puis racontera, jusqu'à l'établissement de checkpoints à la frontière linguistique et l'exil du gouvernement à Polleur.
Ailleurs, on rencontre presque l'arrière-petite-fille de Mikhaïl Gorbatchev, on croise un pirate biologique, trafiquant d'ADN, on teste la cryogénisation à moins qu'on ne contemple des vraies blondes, totalement nues...
Thierry Bellefroid ne se voile pas la face (n'est-il pas d'abord journaliste ?) : il connaît la complexité des institutions belges et l'horreur des guerres dans les pays de l'ex-URSS, il n'ignore pas non plus que chaque individu se construit à coups de petits drames et de désirs inassouvis. Mais il prend ici le parti de la fiction avec un grand sens de l'autodérision et il détourne la réalité pour la restituer dans une forme de détresse joyeuse. Au burlesque, il ajoute une couche de truculence ; au sérieux, il oppose le grotesque. Omniprésents, les traits d'humour fonctionnent comme des appels du pied, sous la table, à en rire. Et si certaines nouvelles s'encombrent un peu de détails ou de détours, cela ne relève que des règles de la farce. Zestes mondains est un recueil réjouissant.
Jack Keguenne