Nicole MALINCONI
À l'étranger
Le Grand Miroir
2003
117 p.
Comment le bruit étranger devient musique
Le bruit étranger, c'est la langue, ce passage obligé pour être du pays où on vient d'arriver et où on va demeurer. Pour toujours ? Le père le dit. En tout cas, on le croit. La petite fille doit faire l'apprentissage des choses les plus familières, hors la maison où le père italien et la mère belge forment autour de l'enfant le seul environnement certain, avec les valises qui prolongent le sentiment du départ. Elle se sent étrangère partout ailleurs, même si la Toscane est la région natale du père et s'il est entendu qu'on y est venu pour commencer une nouvelle vie. Peu à peu, le bruit étranger devient musique, l'enfant s'apprivoise et, d'un mot prononcé là où il faut, comme venant du plus profond d'elle-même, elle connaît un jour le contentement. À raconter son expérience personnelle de la déterritorialité, Nicole Malinconi ne néglige aucun détail du bouleversement que peut représenter une telle transplantation pour quiconque. Bouleversement positif en principe pour le père qui fait retour au pays, retrouve les siens —I Miei — et place tous ses espoirs et les économies du ménage dans la fabrique de chaussures qu'il crée. Moins positif pour la mère qui ne s'adaptera à ses nouvelles conditions de vie qu'en y important des images souvenirs et des marques de distance. L'enfant note toutes les nouveautés, les paysages, les odeurs, la couleur des fruits, les voisins, les amies d'école, les chantiers de l'extension urbaine où parlent et chantent les maçons. Même les événements du monde lui parviennent, passés au filtre des cris dans la rue ou des histoires que raconte la mère, et exposent leur diversité face à face : Staline est mort et la princesse Margaret d'Angleterre n'épousera pas le capitaine Peter Townsend. On retrouve ainsi la manière si personnelle de Malinconi qui trouve son chant dans la mise en voix simultanées de tout ce qui fit le bruit quotidien de la vie intérieure. Elle enregistre le tout-venant des sensations, des plus infimes et fortuites aux plus absolues car chacune résonne sur l'autre. Quant au sentiment, à l'émotion, ils tiennent dans le seul frémissement d'un mot inattendu dans son contexte, qui marque la phrase entière de son augment. Le mot « livré », par exemple, — « toute chose vous laissait seul et livré » — qui suffit à décrire la peur devant l'inconnu ou l'incompréhensible. Ce récit est double. Dévolu pour la plus grande partie au séjour « à l'étranger », il s'ouvre sur un nouveau changement. Cette fois le voyage se fait en sens inverse, de l'Italie vers la Belgique, mais les repères sont brouillés, les certitudes envolées, on redevient subitement passager : « pour un retour, c'était un aller ». La vision ultime, un film appelé À l'enfer et retour, symbolise-t-elle mystérieusement l'adieu au secret des jeunes années ? Le voyage se confond avec la dernière maladie d'enfance. Au lecteur de tirer la conclusion d'un récit qui ne se termine pas. Mais elle ne sera que provisoire.
Jeannine Paque