François OST
Antigone voilée
Ed. Larcier
coll. Petites fugues
2004
113 p.
Antigone n'a pas pris une ride
François Ost nous offre une Antigone voilée aux éditions Larcier, une Antigone plongée dans notre temps, inscrite dans l'Occident post « 11 septembre », celui qui tremble devant le terrorisme, qui craint tous les islamistes, qui cristallise ses peurs en polémiquant autour du port du Hijab, ce « fichu foulard ».
C'est incroyable : vingt-cinq siècles après, le texte de Sophocle comme le sens de la tragédie résistent parfaitement à cette implantation du mythe grec dans l'Europe de l'an 2004. Aujourd'hui, en Belgique, Antigone s'appelle Aïcha et sa sœur, Yasmina. Leurs parents sont morts, victimes d'une tragédie effroyable. Leurs frères Hassan et Nordin viennent de s'entretuer en faisant exploser accidentellement une grenade. Ont-ils sombré dans le terrorisme ? Hassan a-t-il voulu arracher à Nordin la grenade destinée à un attentat ? Ou bien, est-ce Nordin qui n'a pas supporté qu’Hassan joue au héros ? Personne ne peut le dire et la question n'est pas là. La structure qui impose et qui réglemente aujourd'hui la conduite de ces orphelins, c'est l'école. La direction de l'école prend des mesures absurdes, décrétant que nul ne peut assister à l'enterrement de Nordin, déclaré coupable sans aucune forme de procès. Même ses sœurs sont interdites de funérailles. Aïcha se révolte : elle tient tête au directeur de l'école. Partout dans le lycée qui accueillait hier encore les quatre enfants, elle affiche des photocopies d'une photo de son frère, dresse un autel, avec des fleurs, des bougies, et, ultime provocation, elle décide de porter désormais le foulard : la direction de l'école prévoit le renvoi immédiat et définitif de toute personne qui porte des signes religieux, y compris le foulard islamique. Le combat entre Aïcha et le directeur de l'école qui a inventé ce règlement interne absurde (aucune loi du pays ne justifie alors cette décision) vaut celui qui opposait Antigone et Créon. Sous couvert de justice, le directeur essaye surtout de préserver l'image de son école et d'empêcher qu'une adolescente, une femme ait raison contre lui. Et cependant... Le chœur antique, à présent, c'est la télévision. Au cours des quelques jours qui suivent le drame, les média ponctuent l'événement, le racontent, tentent de l'expliquer en ayant recours au témoignage tantôt de proches de la famille, tantôt de condisciples, tantôt de spécialistes. Les textes classiques ne sont pas classiques pour rien ; leur universalité, la pérennité des thèmes et des crises qu'ils traitent peuvent éclairer les situations difficiles à chaque époque. François Ost a réussi son pari : son Antigone voilée rend bien compte des multiples débats que suscite l'islam en Occident aujourd'hui. Le texte est juste, les dialogues crédibles, le sujet imparable : on imagine volontiers que ce texte prenne vie au théâtre. C'est une excellente occasion pour les professeurs du secondaire de montrer l'intérêt des textes classiques ! « Qu'une troupe d'étudiants ou de lycéens, par exemple, s'en empare et l'accompagne de discussions et de débats, l'auteur aurait atteint son but. » C'est tout le mal que l'on souhaite à François Ost et à son Antigone si actuelle.
Nicole Widart