Jean-Claude BOLOGNE
Le Secret de la Sibylle
Paris-Monaco
Ed. du Rocher
1996
169 p.
Au royaume du Livre absolu
Un manuscrit perdu depuis la nuit des temps, un parchemin si précieux qu'on se bouscule pour s'emparer de ses vertus secrètes, un roman qui serait à la fois la clef du monde et la révélation d'un autre univers, un texte révolutionnaire car il permet d'accéder à la connaissance, et singulièrement à la connaissance de soi... Ce livre qui a échappé au feu de la sibylle, Jean-Claude Bologne est sur sa piste. Car s'il s'agit bien dans son dernier roman d'une enquête policière, si les indices s'accumulent au fil des pages et stimulent l'imagination fiévreuse du lecteur, l'enjeu du Secret de la Sybille est ailleurs. Dans la recherche de la sagesse, qui d'un individu à l'autre se manifeste sous une forme différente. Et peut-être bien dans un Livre encore à venir, « un livre blanc, que chacun écrirait four lui-même avant de tout effacer pour le transmettre, vierge de nouveau, à son successeur. Peut-être est-ce cela qu'avait voulu signifier la sibylle en détruisant les deux tiers de la sagesse ? Cherchez-la, mais de grâce, ne la trouvez jamais. »
Point de départ de cette quête mystérieuse, une série d'enluminures médiévales dont les collectionneurs sont systématiquement délestés par les soins d'un cambrioleur aussi adroit qu'érudit. Daniel, courtier en encyclopédies, détient également l'une de ces gravures. Un inspecteur de police un peu balourd et un détective privé, timide mais efficace, ont vite fait de le soupçonner. Daniel, enfoncé par ailleurs dans le confort moelleux d'une relation conjugale sans surprises, se trouve rapidement déstabilisé par ces injustes accusations. Va-t-il définitivement basculer, ou cette épreuve qui bouleverse une vie ronronnante est-elle le signe d'un nouveau départ ? L'enquête commence, et avec elle la découverte des liens qui unissent les différentes miniatures. Elles auraient été enlevées d'une rare édition de l'Ancien et du Nouveau Testament. Une dernière série de miniatures postulerait l'existence d'un autre volume, peut-être un « Troisième Testament ». « Aux trois âges doivent correspondre trois révélations, celle de la Foi pour l'enfance, celle de l'Amour pour l'adolescence, celle de la Raison pour l'âge adulte. » Mais Daniel ne croit guère à de tels salmigondis, qui brassent autant les croyances mythologiques que les recettes fantasmagoriques de vieux grimoires moyenâgeux. Et un protagoniste s'interroge : ce prétendu « Troisième Testament » n'est-il pas un simple « canular de romancier » ? (S'il consulte la bibliographie de Jean-Claude Bologne, il aura probablement un indice.) Jetons un voile sur les événements qui suivent, car certains d'entre eux sembleraient totalement invraisemblables s'ils n'étaient narrés avec sérieux et rigueur par quelqu'un que l'on ne peut décemment ranger dans la catégorie des fumistes. Et faisons confiance à l'auteur du Mysticisme athée et de Du flambeau au bûcher. Il a plus d'un tour dans son sac pour nous convaincre de la réconciliation des contraires...
Car avant d'arriver au terme de ce roman, Jean-Claude Bologne prend un malin plaisir à emmener, d'une plume insouciante et virevoltante, son lecteur sur les routes de la Nouvelle Fiction. Un continent littéraire qu'avec quelques autres écrivains d'Outre-Quiévrain, comme Alain Absire, Michel Host ou Daniel Zimmermann, il défriche dans l'enthousiasme, et dont témoigne par exemple un roman collectif, L'Affaire Grimaudi, publié l'an dernier. Sur ce continent, on multiplie les clins d'œil, on enlumine son texte de mots rares ou perdus, on tresse les allusions, on entretient les quiproquos et les fausses pistes. Ainsi serait-il possible de lire Le Secret de la Sybille à la seule lueur des ouvrages précédents, essais ou fictions, de son auteur. On ne s'en prive d'ailleurs pas, et Le Secret de la Sybille doit une grande part de sa réussite à ces commentaires, citations, réflexions ad hominem dont Jean-Claude Bologne a truffé sa préparation : une gourmandise supplémentaire, qui ravit le simple convive et comble le palais des plus fins gourmets.
Alain Delaunois