André BLAVIER
Les fous littéraires
Editions des Cendres
2000
1152 p.
De Queneau à Cambrenac, alias Blavier
Les choses se sont passées comme suit. 1938, Les enfants du limon, de Raymond Queneau, p. 53 : « Des textes de fous ! s'écria Astolphe. Mais ce doit être extrêmement intéressant. Passionnant même. » P. 333 : « — Excusez-moi [...] : votre grand ouvrage sur les fous littéraires n'a pas paru ? — Non, monsieur. Aucun éditeur n'en a voulu. » Le roman quenellien mentionnait (p. 252) l'illustre Francisque Tapon-Fougas, qui fugacement villégiatura à Verviers en 1856. Bien des années plus tard, le bibliothécaire de la ville serait André Blavier, kenôfilélâtre et auteur d’Occupe-toi d'homélies, que traverse non fugacement ledit Tapon. Blavier pouvait relayer son bon maître, travesti en Chambrenac dans le Limon, pour se plonger dans des milliers d'ouvrages de fous littéraires (notion définie infra), les mettre en fiches (Blavier est rédhibitoirement réfractaire à l'informe à tics) et en typologies, et publier la première édition de ses Fous littéraires en 1982, chez Verdier, maison aujourd'hui disparue. Voici la deuxième édition de la bible des toqués, augmentée et mise à jour : on y cite Sokal et Bricmont. Fous littéraires. Kèssadir ? Lamartine : « Le génie porte en lui un principe [...] de folie... » Les surréalistes : les fous sont des poètes. Le criminologue Lombroso diagnostiquait : Baudelaire maboul, Verlaine dégénéré, Fénelon cinglé... Blavier a retenu exclusivement les fous imprimés, et exclu les mystiques, les fondateurs de secte, les assassins, les occultistes, les guérisseurs, les phrénologistes, etc. Il lui reste assez d'élus pour leur consacrer une introduction pseudo-délirante, des annexes à ladite (je recommande la note G et m'afflige de la mention d'un opuscule toujours annoncé, jamais publié, d'Ernest Reyer : De l'influence des queues de poisson sur les ondulations de la mer), et un index de quelques 3 500 noms, d'où les éditeurs sont sortis à moitié zinzins. C'est de la fort belle ouvrage. Plus de mille pages sur papier bible, typographie léchée1, élégante couverture, tirage limité à 1 500 exemplaires, des illustrations et des fac-similés à gogo, des commentaires blaviérois érudits, tantôt vaches, tantôt tendres, et de larges extraits de moult œuvres recensées. Les auteurs ? Des bienfaiteurs de la scolarité souffrante simplifient l'ortografe ou suppriment toute conjugaison pour ne conserver que l'infinitif. Des linguistes tant hurlus que berlus : les langues sont issues de quatre phonèmes primitifs : deux grognes, le deuxième meuglé, le quatrième sifflé ; le latin a enfanté le bantou. Des racistes cons (pléonasme) : « la race française doit être la plus intelligente, et elle le sera d'autant plus que la dernière guerre a fait déverser sur son sol l'énergie contenue dans plusieurs millions de kilogrammes de matière humaine morte... » Des anticléricaux furibonds : Paul VI, PDG d'une chaîne de bordels, forniqua avec Belinda Lee. Des matheux tourneboulés par la quadrature du cercle et la cubature de la sphère. Des hygiénistes constatant que « la grosseur du membre viril est proportionnelle à l'impureté de l'être » ; ou décrivant le sperme comme infesté d'animalcules féroces dont la tête n'est que mâchoire. Des inventeurs d'allumettes inusables. Des romanciers brouillés avec l'ortografe : Bousmar, notaire à Tournai, arrêté par les pandores, demande à emporter sa capote comme robe de chambre : « l'ayant vêtie sur mon habit, nous se mirent en marche » ; le préjoycien Jacques Lambrecht publie en 1902, à Courtrai, Jugulaire. Wellingtonienne en 22 épigées : « Naturelle cause de vives, incesses croquemitainitaches dont mon idolène Jeanne était l'objet... »
3500 noms ! Blavier n'est pas rassasié ; si vous détenez une pièce originale, voici son adresse : 23, place du Général-Jacques, 4800 Verviers.
Pol Charles
1. Mais, p. 565, Claude-Louis Combet, qui n'est pas fou mais sent le soufre, doit être corrigé en Claude Louis-Combet, na !