Véronique DORTU et Pierre SOMVILLE
La philosophie au programme
Labor - Espace de libertés
2001
93 p.
La philo, la philo, la philo !
I1 y a dix ans, une commission présidée par le philosophe Jacques Sojcher recommandait aux responsables politiques de la Communauté française l'introduction d'un cours de philosophie dans le degré supérieur de l'enseignement secondaire. Le rapport, favorablement accueilli, finit aux oubliettes : rigueur budgétaire et surcharge des horaires-élèves obligent... Aujourd'hui, encouragés par le débat qui s'est récemment ouvert au Parlement sur cette question, deux philosophes (qui ont pratiqué dans le secondaire, il faut y insister) plaident pour, dispensé au même niveau, un enseignement de la philosophie se réclamant du libre examen. Chez nos voisins de l'Union européenne, le cours de philosophie est soit obligatoire, soit optionnel ; il prend place aux côtés des cours dits philosophiques obligatoires — sauf au Danemark, en France et aux Pays-Bas qui ont supprimé les cours de religion, remplacés par l'initiation à l'éthique, l'éducation à la citoyenneté ou l'histoire comparée des religions. Ambiguë, l'expression « cours philosophiques », mérite réflexion : elle coiffe aussi bien l'enseignement de la morale non confessionnelle que celui des religions catholique, protestante, israélite, etc., et des morales qui s'inspirent de ces dernières. Les milieux laïcs, qui proposent de maintenir le cours de morale non confessionnelle dans sa singularité (fondée « sur un humanisme susceptible de créer des valeurs relatives »), se divisent quant à l'opportunité de conserver les cours de religion : la mouvance la plus progressiste tend à accepter le pluralisme, tandis qu'une autre, plus radicale, voudrait y substituer des cours d'éducation civique. Les résistances à l'introduction d'un enseignement philosophique sont doubles. La première était prévisible : les enseignants de cours confessionnels prétendent que la philosophie y est dispensée ; ce qui est gênant dans pareil discours, c'est qu'il affirme, fût-ce implicitement, l'existence de valeurs — tandis qu'au cours de morale, les valeurs restent à imaginer, et l'exigence de distance critique est sans cesse soulignée. La seconde résistance émane, plus curieusement, des enseignants de morale : serait-ce parce qu'ils sont souvent issus de formations en sciences humaines et dès lors habitués à recourir, dans leur approche, à d'autres questions que celles posées par la philosophie ? Un compromis consisterait à inclure la philosophie dans le cours de morale ; nos auteurs s'y refusent : elle dépendrait « trop souvent [...] du bon vouloir du professeur qui, selon ses affinités, en fera usage ou non » ; en outre, si « le cours de morale utilise [...] une démarche philosophique, [...] il n'est pas un enseignement de philosophie ».
Le plaidoyer annoncé est organisé en deux temps. Le premier : il s'agit de montrer combien le champ d'application de la philosophie est vaste : épistémologie, éthique, théories de la connaissance et des valeurs. Le second : on y démontre que la philosophie assure le décloisonnement des matières et aiguise le regard critique (s'interrogeant par exemple sur les fondements de la mathématique). L'objectif poursuivi, ambitieux mais s'affirmant non élitiste, enjoint, d'une part, de passer outre aux impératifs utilitaires (voilà qui est aller héroïquement à contrecourant du discours ambiant !) et, d'autre part, de faire preuve d'une rigueur à cent lieues des bavardages émotifs entendus dans les cafés philosophiques : de préférence à quelques stars médiatisées, on lira les grands textes (dont des extraits sont ici proposés : Sénèque, Epictète, Descartes, Pascal, Kant, Nietzsche. ..) et on fera la part belle à la logique et à l'argumentation.
Un tel effort critique constituerait, soulignent les auteurs, le ferment le plus utile de la démocratie.
Pol Charles