Georges THINÈS
La Leçon interrompue
CFC-Editions
collection «La ville écrite»
1998
64 p.
La musique et la mort
Sur la couverture de La leçon interrompue, une photo : le portrait d'un homme. Mais, contrairement à ce que l'on pourrait croire, il ne s'agit pas de Georges Thinès, l'auteur du livre, mais d'Emile Chaumont, un grand violoniste belge de la première moitié du siècle. Ce musicien, qui, dans le texte, est le professeur du narrateur, est au centre d'un récit où s'entrelacent plusieurs thèmes : l'errance à travers la ville, les liens que la musique établit entre les êtres, les premiers émois amoureux, le sentiment de l'injustice et l'Occupation allemande.
Tout cela peut paraître un peu disparate, surtout pour un si petit livre (64 pages) : il n'en est rien. La leçon interrompue ne se contente pas d'être une évocation nostalgique de la jeunesse ou un coup de chapeau à un maître défunt. Un récit simple et touchant donne une cohérence immédiate aux différents sujets abordés, tandis que le style, majestueux et souple, emporte le lecteur sans lui donner le temps de réfléchir. Le professeur de violon semble aussi vrai que s'il s'agissait d'un personnage de pure fiction et la présence nazie donne aux émois amoureux un aspect presque métaphysique et par la même, universel. Georges Thinès ne succombe pas à la complaisance de la mémoire, ni au pathos juvénile. Le texte, qui dégage une impression de douceur, semble être écrit pour rassurer le lecteur et le jeune narrateur : par ce biais, une certaine angoisse est distillée entre les lignes, de façon subtile et nuancée. La fin du récit parfait l'unité de l'ensemble. De tragiques circonstances ont pour conséquence que le maître et la petite amoureuse se retrouvent dans la même position par rapport au narrateur, tandis que l'errance à travers la ville et la musique confondent leurs effets. Le jeune homme n'a plus qu'à tirer une leçon de son expérience, leçon inutile, leçon concernant l'interruption et l'art : la musique n'aide pas à supporter l'insupportable, elle ne délivre aucune consolation quand frappe la mort ou que vient l'heure de la séparation. Cependant, si elle ne facilite pas le travail de deuil, elle lui donne une autre dimension. « Ce que la musique m'enseignait à travers la mort du maître, c'est qu'aucun désespoir ne peut être accepté et que l'art supérieur se confond avec la révolte. La disparition du maître et la disparition de Louise, loin de m'apparaître comme ce que d'autres auraient qualifié d'injustice, me lançaient dans les dédales de la ville, plein d'une fureur dionysiaque souvent proche de la jouissance », écrit Georges Thinès.
Laurent Demoulin