Malika MADI
Les silences de Médéa
Bruxelles
Editions Labor
2003
216 p.
Le devoir de parler, le droit de vivre
Toute femme est riche de sa diversité dans l'épanouissement, semble nous dire Malika Madi à travers son deuxième roman Les silences de Médéa. Mais cette richesse est refusée à Zohra depuis qu'elle a subi une violence que rien ne peut traduire. Aussi ne nous est-elle pas racontée directement, mais nous la percevons bien réelle : la jeune fille a été victime d'un viol collectif. Elle ne peut ni ne veut en parler parce qu'elle en a inconsciemment banni le souvenir. Seule subsiste une souffrance sans nom, un mal-être si pesant qu'il ressemble à une infirmité définitive. Elle tente d'échapper à son passé et quitte la vie qui fut harmonieuse entre son métier d'institutrice et sa famille pour le double exil que représentent le mariage avec un veuf inconnu qu'elle n'aime pas et l'abandon de son Algérie natale pour la France. De Médéa, son village autrefois silencieux, aujourd'hui livré aux exactions des extrémistes islamiques, elle n'a emporté que la nostalgie de se proches, son père et ses frères. Dans cette banlieue parisienne où elle vit désormais, une seule personne, sa belle-fille Hanna, perçoit que quelque chose mine la perfection apparemment calme d'une épouse pieuse et dévouée. Et c'est le propos d'une deuxième histoire et le dessein d'un autre personnage de femme tout aussi attachant, même si cela nous déporte un peu loin de l'essentiel, seule réserve que l'on puisse faire. Hanna est une assistante sociale que l'expérience de cas semblables a éclairée. Non seulement elle sait comment on écoute les paroles, mais aussi comment on entend le silence. C'est elle qui délivrera Zohra de l'incommunicable, en l'aidant à nommer son tourment pour arriver à en faire le deuil.
À l'image de ces deux personnages, contrastés et complémentaires, le roman tire son intérêt de la confrontation. Entre deux cultures et même deux subcultures, entre la tradition et la nouveauté, entre l'enfermement et la liberté, entre l'intégration et l'exclusion. Entre différents modes de vie aussi, entre diverses formes de souffrance qui, toutes, résultent du mépris de l'autre. Servi par des régimes narratifs variés, le récit progresse selon des rythmes alternés. S'attardant dans les descriptions poétiques ou dans les analyses internes, il s'accélère lorsque les questions se pressent et que le dialogue fait irruption, rendu possible et efficace par l'obstination de celle-là, personnage ou auteure, qui veut que l'humain, la femme renaisse à soi-même. Et qui entend par ses paroles dénoncer et vaincre l'innommable.
Jeannine Paque