Franco Dante MENOZZI
Finitudes
Jumet
IPH Editions
2000
293 p.
Un jeu
Ce pourrait être un jeu d'enfant pour jours de pluie. Il consisterait à lancer une proposition plus ou moins saugrenue et à la regarder tout bonnement courir jusqu'au terme de sa logique. Un fait en entraînant un autre, il se conclurait par la découverte de ce qui, véritablement, se trouve de l'autre côté, à la fin des fins. Il ferait surgir une réalité quelquefois étrange ou étonnamment banale — qui donnerait à penser ou laisserait pantois, momentanément déconcerté, sans qu'on puisse y trouver une justification ni rationaliser son trouble. Il n'aurait pas abouti à ce dévoilement, à cet arrachement des masques, en s'étant placé sous le règne des il était une fois ; il aurait plutôt adopté celui des spéculations imaginatives : et si on disait que..., imaginerait-on ceci...
Romancier et nouvelliste, Franco Dante Menozzi s'est prêté au jeu dans Finitudes, un copieux recueil de nouvelles où quelques grains de folie, quelques notoires incongruités ont charge de faire vaciller l'ordre du monde. Une sévère institutrice y découvre qu'il y a, dans sa classe, des choses qu'elle ignore et, même, qu'elle ne voit pas — qui existent pourtant, même si l'admettre n'est guère raisonnable. Une grande bourgeoise, lasse de s'ennuyer près d'un époux somnolent, y décide de tenter la grande aventure. Partant de Bruxelles, elle n'ira guère plus loin que la vallée du Viroin, où de menues péripéties viendront lui rappeler qu'il n'est pas d'endroit où l'on ne s'emporte inéluctablement avec soi. Plusieurs nouvelles interrogent le statut du créateur. Comment un écrivain peut-il s'adonner à la création pure, enfin rendue à elle-même, enfin détachée de toute contrainte et de toute ambition triviales ? C'est qu'il suffit de vraiment peu pour que s'effondrent les piédestaux et que revienne l'imbécile brutalité. Dans une perspective presque opposée, par quel truchement une auteur parviendrait-il à jouir de sa propre postérité ? Et comment pourrait-il transformer sa mort en apothéose voluptueuse ? L'épouse d'une célébrité littéraire répond à ces questions à sa manière, qui se révèle pour le moins radicale. Un individu porterait-il les prénom et patronyme de Michelangelo Voltaire, quelle destinée d'artiste lui serait promise et de quel secret sa dernière toile serait-elle porteuse ? Pour percer à jour ce que cache « la peinture (...) réalisée sur un vulgaire drap de lit tissé avec du lin grossier », c'est, cette fois, la candide lucidité de deux enfants qui sera nécessaire. Alors que dans une nouvelle intitulée « Sur le bord de l'autoroute », Menozzi fait preuve d'une relative sobriété pour mieux faire basculer son récit dans le fantastique, ailleurs il laisse son imagination déployer toute sa fantaisie.
L'impression s'impose malheureusement qu'il en fait parfois trop et que certains tics d'écriture mériteraient d'être mieux contrôlés. En particulier, il abuse des noms de personnages ou de sociétés qui se veulent drôles ou signifiants mais qui confèrent à certains textes une tonalité de bouffonnerie qui leur enlèverait plutôt une bonne part de leur crédibilité — comme si l'écrivain ne croyait pas à l'histoire qu'il raconte, comme s'il doutait que sa trame narrative tienne totalement la route et se suffise à elle-même. Il arrive aussi qu'il glose préalablement son récit, le mettant à distance ou lui accordant une valeur d'illustration morale : « La terre par exemple nous est encore largement inconnue, elle constitue d'ailleurs un extraordinaire champ d'ignorance où le rêve humain peut fleurir a volonté. Mais encore faut-il le vouloir et s'en donner les moyens. L'histoire que voici s'adresse à ceux qui se donnent les moyens de rêver. » L'ensemble des Finitudes aurait donc gagné à s'épurer voire à s'alléger quelque peu — d'autant qu'une tournure telle que « Giorgio se serait même cru pour (sic) un preux chevalier » n'aurait pas dû passer le cap de la relecture. Quant aux illustrations de Serdu qui accompagnent les nouvelles, leur présence résulte davantage d'une fausse bonne idée que d'une nécessité.
Laurent Robert