François EMMANUEL
Grain de peau.
Alinéa
1992
213 p.
Ses secrets, plus longs que vos nuits
Indépendamment de ce qui arrive, n'arrive pas, c'est l'attente qui est magnifique. (BRETON)
L’homme, c'est toujours le même : poète, médecin, détective, professeur d'anglais, archéologue, c'est toujours un humaniste, encore qu'il ait tendance à ne prêter d'attention qu'à une moitié de l'humanité, l'autre moitié. Laquelle ne se laisse pas découvrir, même prise, il faut attendre. Attendre qu'elle vous aime, qu'elle vous perde et vous retrouve, qu'elle vous donne ce qui toujours est cherché, qu'elle pleure pour vous sauver du monde. Aussi, mieux vaut avoir le don d'ignorance : ne pas être en mesure de se satisfaire de représentations rationnelles, afin d'entrer dans le mystère de sa passion, même s'il faut mourir avec elle, ou plutôt parce qu'il faut vivre et mourir avec elle.
François EMMANUEL
La nuit d'obsidienne.
Les Eperonniers
coll. « Maintenant ou jamais »
1992
190 p.
Les livres de François Emmanuel sont les chants de cette attente : Alicja, Janice, Melody, Epiphanie, Jana, Inge, Ann. Sur tous les modes et tous les tons : la filature dans « Ce fou de Nasielski » et l'enquête policière dans « Melody est morte », la fouille archéologique dans « Galastera » et l'exégèse poétique dans « Grain de peau » qui donne son titre au recueil tout entier. Pas d'obscénité cependant : le secret, on le guette mais on ne le force pas. S'il ne se donne, c'est qu'il est ailleurs. Comme une pierre obsidienne, si sombre dans sa transparence. Le narrateur le comprendra ; ainsi ne s'empare-t-il pas du trésor des pièces romaines qu'il a tant cherchées et pour lesquelles il croyait être resté à Galastera. Au lever du matin suivant, il sent alors se poser sur lui un gouffre, une occasion de chute, un ensemencement.
Comment oublier lorsqu 'elle nous regarda ce que j'y lus de ravage et d'ouverture, le craquement des peaux, tu me tues et tu me pénètres, je suis soudain si grande que je chancelle, j'ai dormi longtemps, j'ai faim, il fait grand vent de ce côté-ci du monde... Les nouvelles sont très belles. Le roman, vous ne l'aurez pas compris. Mais vous n'êtes pas sûr de moins l'aimer. Son secret repose au creux de votre mémoire, s'oubliera dans l'écorce du temps, attendra que le lit des mots s'assèche, pour éclater enfin et briller de tous les feux de son authenticité.
De là où vous reprendrez l'histoire, ce sera un peu le Farghestan. L'île sert de champ de manœuvres militaires. On a oublié des gens — tout un village — qui y vivent depuis des siècles, avec leurs lois, leurs fantômes, avec-leur • folklore », comme on dit ici sur le continent. Parti comme en mission sur les traces anciennes d'un archéologue, le narrateur débarque un jour dans l'île pour que tout arrive : que le cœur des femmes se presse comme un éponge et que s'expriment des accumulations d'amour et de douleur ; que le cri des hommes réveille la terre et laboure les consciences ; que le regard des enfants se plisse sous la chaleur des rires et cherche l'horizon du renouveau ; et que tout reparte : de l'île, dans l'île. Roman philosophique autant que poétique, finalement peu romanesque, La nuit d'obsidienne est animée d'une écriture fragile, et si peu ostentatoire que vous êtes prêt à la soutenir par votre attention et votre sympathie. Dans vos nuits de soie et d'émoi.
Sémir BADIR