Roland MORTIER
Juliette de Robersart. Une voyageuse oubliée
Le Cri-Académie royale de langue et de littérature française
coll. Histoire littéraire
2003
159 p.
Une Sévigné montoise
Sacrée bonne femme que cette comtesse Juliette de Robersart (1824-1900) née à Mons, assez belgicaine pour que, dans la vallée du Jourdain où les Anglais ont fièrement déployé leur bannière, elle fasse flotter son « drapeau belge dans un endroit délicieux auprès de l'eau qui murmure... », catho intégriste avant la lettre, pas follement gironde, féministe redoutant d'aliéner sa liberté dans les liens du mariage, fort vraisemblablement lesbienne (galamment et prudemment, trop prudemment peut-être, Roland Mortier évoque entre Juliette et sa correspondante de toujours, Charlotte, une amitié « qui prend parfois les couleurs de l'amour » — mais Juliette écrit ici « O my beloved », et ailleurs : « Cœur Charlotte »...), se refusant à l'ultramontain Louis Veuillot qui s'était toqué d'elle lors d'une promenade nocturne dans les ruines du Forum romain (« Ni vous ni moi, écrit Louis, n'avions prévu cette secousse soudaine qui joignit nos mains... »), voyageuse intrépide et d'une gaillarde santé. Les récits de voyage (Espagne, Egypte, Terre Sainte) et la correspondance, publiés, les premiers du vivant de Juliette, la seconde de manière posthume, sortent, grâce à Roland Mortier, du long oubli où ils sont restés confinés ; la pauvre n'avait cependant pas dissimulé son désir de figurer parmi les voyageurs célèbres du XIXe siècle... Les très larges extraits ici présentés témoignent pourtant d'une spontanéité et d'une ironie réjouissantes : « je ne dors plus aussi bien ; des bataillons nocturnes me pincent et me tiennent éveillée. Pourtant, on a beaucoup exagéré leur force, leur discipline et leur acharnement ; une petite punaise ou deux pendant la nuit, cinq ou six puces et trois poux, voilà toute l'armée ! » Le coup d'œil est vif pour décrire la danse des derviches tourneurs qui « pirouettent sur le talon du pied droit », et pour s'agacer gentiment de ce que « les cuisiniers et les marmitons de ce pays-ci se mouchent avec leurs doigts... » Ce qui est épatant, c'est le rapprochement entre la mise à mort par Déodat de Gozon, dans l'île de Rhodes, d'un « monstre terrible qui désolait le pays », et celle du dragon de Wasmes par Cille de Chin : « Chaque année après la procession où figure un char remarquable, appelé le car d'or, la représentation de ce combat a lieu à Mons, sur la Grand-Place et auprès de l'hôtel de ville dont les arceaux sont partout renommés. »
On goûtera sans doute moins la coquette propension de Juliette à étaler son érudition, et on ne goûtera pas du tout qu'un prosélytisme religieux assez furibond la pousse à excommunier d'un trait de plume Arméniens, Coptes et orthodoxes : « Quand toutes ces voix de l'erreur retentissent en même temps que les nôtres, je me sens transpercée de tristesse... »
Pol Charles