Jean-Pierre OTTE
L'amour en forêt
Paris
Julliard
2001
216 p.
L'Amour en forêt
Avec L'Amour en forêt, Jean-Pierre Otte poursuit sa fresque consacrée à la sexualité de la faune. Après s'être intéressé aux poissons (L'Amour en eaux dormantes) et aux mollusques (La Sexualité d'un plateau de fruits de mer), Jean Pierre Otte lève cette fois le voile sur les secrets et les mystères de la forêt, un espace qu'il arpente et admire depuis l'enfance et dont la description est bien davantage le fruit de dizaines d'années d'observations et d'investigations passionnées et minutieuses que le condensé d'une érudition digérée en bibliothèque. L'Amour en forêt se situe à l'intersection de l'essai et de la littérature. Jean-Pierre Otte refuse l'anthropocentrisme subjectif de la science et son penchant à classer les espèces en de rigides éthogrammes (catalogues de comportements caractéristiques d'une espèce) qui considèrent comme marginales toute les particularités individuelles qui viendraient contredire la règle. A l'inverse, il évite l'anthropomorphisme systématique qui réduirait les pratiques, les techniques et les rituels amoureux des animaux à de didactiques pendants des comportements humains. Bien sûr, les similitudes existent, troublantes ou drôles, mais le narrateur reste le plus souvent en retrait pour laisser son lecteur apprécier la leçon qui est tout à la fois une approche, un partage, une reconnaissance et, quelquefois même, un motif d'inspiration. L'auteur préfère souligner les rapprochements entre les différentes strates de vie. C'est tout le sens de l'avant-dernier chapitre consacré à l'infiniment petit qui nous présente notamment une coccinelle souffrant d'une morphologie contraignante qui rappelle celle du hérisson (peu de zones érogènes) ou les lucanes dont les mues et les rituels amoureux évoquent précisément ceux du cerf et de la biche. La démarche de Jean-Pierre Otte procède d'un désir de s'introduire toujours davantage dans l'intimité de la vie sans pour autant jamais en entamer le mystère ou l'absence de mystère qui vise à souligner une familiarité progressive et réconfortante, une impression de solidarité, un émerveillement qui élargit le monde et abolit, pour un temps, toute hiérarchie entre les règnes. Toutes considérations épistémologiques mises à part, ce livre est avant tout un hommage à la sexualité de ces animaux qui non seulement ne font pas l'amour comme des bêtes (les sangliers et les hérissons font preuve d'une sensualité délicate qu'on est bien loin de leur attribuer a priori), mais le font autant pour le plaisir qu'à des fins de reproduction (les lapins en fournissent sans doute l'exemple extrême, eux qui seraient prêts à détruire leur portée pour libérer leur femelle des contraintes de la maternité et la rendre disponible pour de nouveaux assauts). Ils font preuve d'une inventivité incroyable aussi bien dans les manœuvres d'approche, qui sont souvent rapportées à la technique de chasse, que dans le raffinement des préliminaires, qui mobilisent toutes les sécrétions et tous les sens possibles.
L'ouvrage regorge d'épisodes tantôt cocasses (le renard copule en hiver afin de profiter de l'exercice pour se réchauffer, l'olfactif qui joue un rôle si déterminant dans l'érotisme sylvestre n'entre pas du tout en ligne de compte dans les ébats amoureux du putois), tantôt pathétiques (la lente agonie des cerfs rivaux dont les cors sont inextricablement imbriqués). Il nous fait également découvrir des pratiques ingénieuses, qu'elles soient sinistres (le coucou parvient à pondre des œufs qui reproduisent la texture, la couleur et la forme de ceux qu'il vient de détruire dans le nid envahi) ou édifiantes : en cas de crise de logement, le renard peut très bien cohabiter avec des lapins dans les différentes galeries d'un terrier ! L'ouvrage est bien sûr un plaidoyer substantiel pour la sauvegarde des richesses de la nature, mais il n'est pas seulement destiné aux écolos. La dimension existentielle de L'Amour en forêt nous concerne tous : la connaissance de ce que nous sommes et du pourquoi de ce que nous sommes passe par la reconnaissance de cette animalité ; c'est par elle, dans la conscience qu'on en a, que l'être recouvre une dimension qui n'est pas seulement circonscrite en lui-même.
Thierry Leroy