Paul ARON, Denis SAINT-JACQUES et Alain VIALA
Le dictionnaire du littéraire
PUF
2002
634 p.
Un dictionnaire de la relativité
Les dictionnaires concernant la littérature ne manquent pas. A côté des nombreux inventaires des œuvres ou des auteurs, on compte plusieurs répertoires techniques, tels que le récent Lexique des termes littéraires publié par Le Livre de poche sous la direction de Michel Jarrety, le Dictionnaire des genres et notions littéraires qui regroupe des articles conçus pour L'Encyclopdidia Universalis ou le classique GraduSy les procédés littéraires de Bernard Du-priez, où sont inventoriés les figures aux noms les plus barbares. Malgré cette grande richesse éditoriale, Le Dictionnaire du littéraire que publie les éditions PUF et qui a déjà rencontré un étonnant succès commercial (sorti le 6 mai, il est déjà provisoirement épuisé) occupe une place originale et nourrit des ambitions nouvelles. Les dictionnaires littéraires techniques traditionnels jouent un rôle pratique direct : ils arrêtent la définition de tels et tels termes. Fonctionnant comme un dictionnaire de philosophie, le Dictionnaire du littéraire se veut moins dogmatique, plus relatif et plus intellectuel. Il contextualise les notions qu'il aborde selon trois angles : historique, géographique et social. Les entrées qu'il contient sont en effet plurielles : après une courte définition, l'article s'attache à retracer l'histoire de la notion et énumère les variations de ses emplois selon les époques et les auteurs. Ensuite sont évoquées les problématiques contemporaines qui s'y rapportent. Et une bibliographie succincte donne des pistes de lecture à ceux qui désireraient s'informer plus en profondeur. Il ne s'agit donc pas de combler le lecteur en lui livrant une vérité intangible, mais de l'amener à réfléchir.
La relativité des termes littéraires se trouve ici exprimée également par un regard résolument sociologique. Nous ne sommes pas au Parnasse, mais dans un monde qui obéit à des règles définissables. Cela se traduit essentiellement par le choix des entrées : celles-ci ne sont pas toutes liées à des noms de genres, de courants ou de figures, elles concernent parfois des institutions comme « Académies », « Prix littéraires », « Censure » ou... « Dictionnaire ». Enfin, la relativité est géographique : la vérité n'est pas une, elle change avec les langues et les frontières. Aussi l'espace choisi se limite-t-il par méthode à la zone que délimite la langue française. Mais l'on y sait que celle-ci ne se parle pas qu'à Paris. Il est en effet tenu compte dans ces pages de l'ensemble de la Francophonie, même si la France, le Québec et la Belgique y occupent sans doute plus de place que la Suisse ou les Antilles. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'un hasard, puisque l'ouvrage est dirigé conjointement par un Français, Alain Viala, un Québécois, Denis Saint-Jacques, et un Belge, Paul Aron. De nombreux rédacteurs d'articles sont par ailleurs belges ou œuvrant dans une université belge : Jean-Pierre Bertrand, qui fait partie des collaborateurs directs, Frédéric Claisse, Benoît Denis, Wim De Vos, Maud Devroey, Pascal Durand, Damien Grawez, Rainer Grutman, Jan Herman, Jean-Marie Klinkenberg, Aline Loicq, Stefania Marzo, Marc-Emmanuel Melon, Ginette Michaux, Alexander Roose, Jean-Maurice Rosier, Pierre Schoentjes et Cécile Vanderpelen (j'espère que je n'ai oublié personne).
Notons encore que l'ouvrage compte 627 pages, qu'il contient un mode d'emploi, un index et des renvois permettant de trouver facilement l'article générique traitant de telle ou telle notion précise. Et finissons, une fois n'est pas coutume, par toucher un mot de la quatrième de couverture : il ne s'agit pas d'un commentaire présentant l'ouvrage, mais d'un beau petit texte du trop rare écrivain français Pierre Michon qui évoque, à la manière de Borges, l'Antiquité grecque, Guillaume d'Occam et le rapport qu'entretiennent les mots, les dictionnaires et l'idée de divinité.
Laurent Demoulin