Robert VERDUSSEN
Naïm Khader. Prophète foudroyé du peuple palestinien (1939-1981)
Editions le Cri
Biographie (avec le soutien de La Libre Belgique)
2001
267 p.
Palestine, les ailes brisées de la paix
I1 y a vingt ans, le 1er juin 1981, mourait assassiné devant chez lui Naïm Khader, représentant officiel de l'OLP à Bruxelles. Une nouvelle biographie paraît, menée par le journaliste Robert Verdussen, chargé depuis plus de trente ans des questions du Moyen Orient pour La Libre Belgique, et qui a dans ce cadre, régulièrement approché Naïm Khader. Une biographie documentée et nourrie du témoignage de ceux qui ont accompagné une vie et un combat. Un livre qui retrace, à travers l'engagement et le travail d'un homme, les bouleversements ininterrompus d'une région et la tragédie d'un peuple qui saigne depuis plus d'un demi-siècle.
Naïm mène une courte carrière d'instituteur à Amman en Jordanie où se sont réfugiés une partie des centaines de milliers de Palestiniens que la guerre qui a suivi la création de l'Etat d'Israël en 1948 a condamnés à l'exil. Il rejoindra vite son frère Bichara à l'Université Catholique de Louvain, où il obtient une licence puis un doctorat en droit. C'est là que l'atteint la nouvelle de la guerre des Six Jours, qui semble être le déclencheur de son combat : l'occupation de la Cisjordanie et de Gaza prive les Palestiniens de leur dernier morceau de patrie, et les Khader de leur village natal, désormais sous occupation. Naïm ne le reverra qu'une fois, quand en 1972 il ira présenter sa femme à sa famille. Visite humiliante, où il ne pourra fouler sa terre d'enfance qu'après un interrogatoire de plusieurs heures mené par un soldat israélien... venu d'Anvers pour s'installer en Israël. Un an après la guerre des Six jours, il commence à militer discrètement pour le Fatah, s'inscrit en droit international à l'ULB où, aux cours-débats du professeur Salmon, il s'initie à l'explication et à la défense de la cause palestinienne. Il commence à signer, avec son frère Bichara, des articles d'autant plus percutants qu'à l'époque, le contexte général est plutôt favorable à l'État d'Israël et baigné par la méconnaissance, voire l'ignorance entretenue de l'histoire et des réalités du peuple palestinien. La première tâche que s'assigne Naïm sera d'ailleurs celle d'informer les Belges par des écrits, des conférences, des rencontres, et en s'appuyant sur l'Histoire, sur des faits et des chiffres incontournables, de rétablir des vérités tronquées ou dissimulées. La plus répandue étant sans doute celle du mythe d'une Palestine « terre sans peuple » selon les termes du fondateur du sionisme, Théodor Herzl : il démontre aisément qu'avant 1948, la Palestine comptait deux millions d'habitants, dont le lot n'était pas forcément de survivre misérablement dans un désert aride ! Tant lors de ses premières conférences dans des villages aux quatre coins de Belgique, que dans les sphères officielles et internationales où le portera son statut de représentant de l'OLP à Bruxelles (statut reconnu officiellement par les autorités belges en 1976), Naïm Khader fera montre d'un souci du dialogue, de la justesse des propos et de l'écoute de l'autre que tous lui reconnaîtront. Dialogue qu'il voudra mener avec des membres de la communauté juive de Belgique, réaffirmant la position de l'OLP qui récuse l'amalgame (encore trop souvent entendu) entre juif, israélien et sioniste. S'il combat le sionisme, il répétera toute sa vie la nécessité d'un dialogue entre Israéliens et Palestiniens, d'une réconciliation entre deux peuples victimes d'injustices dans lesquelles les Européens ont une lourde responsabilité.
Un combat pour la paix, la justice, l'égalité, la démocratie, qui n'était sans doute pas de l'intérêt de toutes les parties impliquées, comme Verdussen l'explique à la fin du livre, et qui lui a sans doute coûté la vie. « Les balles qui ont assassiné mon mari », dira son épouse lors du procès du principal suspect qui ne se déroulera qu'en 1999 et qui débouchera sur son acquittement, « n'ont pas tué la colombe de la paix, mais lui ont brisé les ailes ». Cette biographie présente aussi l'intérêt de rappeler en détails les étapes de la lutte des Palestiniens pour la défense de leur cause, et la progressive et difficile reconnaissance de (certains de) leurs droits par diverses instances internationales. Droits qui sont encore tous les jours bafoués et écrasés dans le sang. Cette biographie de Naïm Khader se ferme sur un triste constat : il savait « qu'il était condamné par ceux qui prêchaient la haine, l'intolérance, le refus de la paix ». Aujourd'hui, ces voix l'emportent encore...
Laurence Vanpaeschen