Amélie NOTHOMB
Péplum
Albin Michel
1996
211 p.
De l’art de la dispute en 2580
Aussi métronomiquement que Noël arrive en décembre, la rentrée littéraire voit débouler le nouveau roman (dialogué) d'Amélie Nothomb. Et les discussions de recommencer dans les salons de thé, de littérature et de coiffure, chacun y allant de son opinion, de ses compliments ou de ses perfidies. Amélie Nothomb le sait et en joue, jusque dans ses livres. Dans Péplum plus que dans les autres puisque dans ce dernier elle intègre les critiques négatives qui lui sont assenées et les utilise comme arme fictionnelle dans le dialogue qui oppose A.N., écrivaine et Celsius, Ponantais qui vit en 2580. Oui vous avez bien lu, A(mélie) N(othomb) quitte ce siècle pour un séjour dans le futur, dans un temps où n'existent plus sur la Terre que le Ponant et le Levant. Si la romancière s'est fait enlever c'est parce que le 7 mai 1995, dans une conversation, elle formulait l'idée suivante : « Les scientifiques du futur, qui auront les moyens de voyager dans le passé, sont les responsables de l'éruption du Vésuve en 79 après Jésus-Christ. Mobile du crime : préserver, sous les cendres et les laves, le plus bel exemple de cité antique — mieux : le joyau historique de l'art de vivre ! » Le lendemain, il était prévu qu'elle soit opérée et qu'à cette occasion, elle subisse une anesthésie générale. Elle se réveillera quelque 585 années plus tard... Le pressentiment de ce qui s'est passé à Pompéi s'est avéré exact. A.N. devenue gênante — notre siècle ne devait rien savoir — les déclencheurs de la catastrophe en 2579 lui ont fait traverser les siècles pour qu'elle ne révèle pas sa découverte. Si, de cette manière, elle se tait en 1995, en 2580, elle discute à foison avec Celsius afin de comprendre pourquoi elle a été enlevée, pourquoi et comment Pompéi a été détruit, afin de connaître les événements d'après 1995 et bien d'autres choses encore. Elle parle également pour épuiser (vaincre) son adversaire et être renvoyée au moment d'où elle vient. Pour nous faire croire à ses histoires aussi. Et là de retrouver cet art de l'enfance qu'a conservé Amélie Nothomb de nous faire prendre des vélos pour des chevaux : jusqu'à la dernière ligne, elle tentera de nous convaincre : « Quand j'ai eu fini de rédiger ce manuscrit, je l'ai apporté à mon éditeur. J'ai précisé qu'il s'agissait d'une histoire vraie. Personne n'a daigné me croire. » A chacun bien sûr de se laisser prendre au piège de ce nouveau monde où les gens sont habillés de péplums en hologramme, où ne s'éditent plus que des ouvrages gros comme des dictionnaires, où l'énergie est la grande Histoire et la responsabilité le principe moteur... Vous pensez peut-être que nous faisons trop de révélations sur Péplum et que nous risquons la déportation ? Peut-être. Pourtant l'essentiel est ailleurs, dans le jeu de (non-)logique auquel s'amuse la dialoguiste et dans les aboutissements qu'elle invente à notre société actuelle. Jules Verne n'opérait pas autrement.
Michel Zumkir