Luce MINET
Reine et les Étoiles
Cuesmes
Éditions du Cerisier
Faits et gestes
2003
304 p.
Petite Reine est devenue grande
Publication emblématique des Éditions du Cerisier, Reine et les Étoiles, de Luce Minet, l'est à plus d'un titre. Comme le rappelle l'Avertissement, cette maison apprécie et encourage les écrits en prise directe avec les réalités sociales et politiques, particulièrement les fictions qui s'en nourrissent et satisfont ainsi à la double exigence du littéraire et du politique, dans un rapport étroit signifiant-signifié. Sans entrer dans le détail des clés de ce roman qui en comporte d'évidentes, il importe d'en situer les faits dans l'Histoire sans quoi ni la référence au réel ni les qualités proprement littéraires de la mise en fiction ne seraient compréhensibles ni même discernables. Il s'agit de reconstituer la vie d'un mouvement de la résistance belge et juive à l'occupation allemande, les Partisans armés, très précisément de janvier 1943 à juin 1945. Plutôt que des actions d'éclat, le roman relate les menus faits quotidiens nécessaires au suivi d'une organisation, sans négliger les débats d'opinions et les discussions idéologiques qui participent de la formation continue du militant. De l'Histoire, on passe rapidement à la polémique dans ce roman à thèse qui s'applique à démêler les conflits entre direction nationale et fractions agissantes d'un même mouvement et qui vise surtout à démêler les responsabilités respectives, qu'elles soient du centre bientôt infiltré par des traîtres à l'origine de dizaines d'arrestations ou des rescapés qui continuent obstinément de toutes leurs forces dispersées le combat. Il est clair qu'ici l'auteur prend fait et cause pour les Partisans juifs, authentiques communistes qui veulent que leur lutte aboutisse à la Libération certes, mais aussi à un avenir meilleur, à une société plus juste et qui s'opposent au retour d'un nationalisme étroit et au rétablissement d'un régime conservateur que souhaitent les cadres de l'organisation déjà en train de se répartir les futurs postes de direction.
C'est aux documents authentiques et aux témoignages directs que le livre doit ses définitions de base : ce qu'est un juif résistant, ce qu'est un partisan, ce qu'est un communiste, ce qu'est l'internationalisme. Qu'il doit aussi sa force de démonstration, comme le fait de montrer dans l'action la supériorité du Capital sur la Torah, par exemple. Par contre, c'est à la veine et à la verve littéraires qu'il doit la vivacité de ses descriptions, la consistance de ses personnages et la prégnance de leurs émotions. Le voyage à vélo de la jeune courrière Reine, de Bruxelles à Mons, est dans sa simplicité d'évocation et le familier de ses conversations d'une beauté émouvante, comme l'est aussi, avec un autre talent, la scène de retrouvailles dans le quartier des abattoirs entre les deux frères, Joseph et Michel, où l'échange de leurs paroles est ponctué par les cris d'un cochon qui hurle son refus d'aller à la mort. Et puisqu'un témoignage réel contient la matière de dix romans, comme il est dit en conclusion, il faut bien tout un roman pour condenser l'indicible d'une vérité en marche.
Jeannine Paque