Paul Couturiau
Blues pour Mary Jane
éditions du Rocher
Monaco
1993
157 p.
Deux polars
L’un se lit comme on se met à table, l'autre comme on se couche. L'un donne envie de se lover dans du velours rouge sang, l'autre de s'allonger dans un hamac, à l'ombre surtout. L'un fait frissonner la peau et le cerveau et craindre de vraiment n'être à l'abri de rien ; l'autre nous flanque des bouffées de chaleur, des sueurs de sud, des envies de se déboutonner.
L'un est écrit par une femme, l'autre est écrit par un homme.
L'une a choisi de privilégier le point de vue : hors lui, point de salut. Et puisque tout a été fait déjà, et sans pousser jusqu'à faire se parler les draps, les mites et les toiles du matelas, lune a couve d'un regard concupiscent ce qui chaque matin et soir que Dieu fait lui sert aux tâches les plus anodines pour lui extorquer d'impudiques confessions. Quelle mémoire, quelles sensations, quel regard peut bien avoir un couteau ? Bien sûr, il servira dans des paumes criminelles, fourragera les chairs et connaîtra l'astique puisqu'il est couteau de polar... Documentée utilement sur la coutellerie, l'une dresse un portrait d'un bizarre instrument qui, s'il prend voix humaine, n'appelle pas les hommes par leur nom. Et ce couteau, qui dit « je » et désigne ses éphémères maîtres (si peu) d'appellations sommaires comme l'« Homme sauvage », la « Rouquine » ou l’ « Homme de goût », nous donne furieusement envie d'être dévoré tout cru au petit déjeuner. Demain seulement.
Et l'autre? Si disert sur la Nouvelle Orléans qu'on soupçonnerait volontiers cette ville de «détective sponsoring», l'autre a l'art de donner vie à des privés singulièrement privés de passion pour leur exercice. Si bien que la première énigme à résoudre est : le lecteur va-t-il servir de divan au héros qui se lèvera, la séance terminée, rasséréné ? La seconde pourvoit comme il se doit aux nécessités du genre avec une névrosée peut-être criminelle, des gens haut placés pas si honnêtes qu'ils le prétendent, et un mauvais dont le cœur palpite derrière des buissons d'épines. Le tout dans une moiteur musicale qu'un ouragan déchirera jusqu'aux tympans.
L'un, c'est Etats de lame de Pascale Fonteneau ; l'autre, Blues pour Mary Jane de Paul Couturiau. L'un, dans la collection Série Noire de Gallimard ; l'autre aux éditions du Rocher. Voilà.
Alexandrine DUEZ
Pascale Fonteneau, Etats de lame , Paris, collection Série Noire de Gallimard, 1993, 160 p.