Gilbert HOTTOIS
De la Renaissance à la postmodermté. Une histoire de la philosophie moderne et contemporaine
De Boeck L versité
1997
532 p.
De la Renaissance à la postmodernité
II en va trop souvent des histoires de la philosophie comme des manuels d'utilisation des automobiles ou des traitements de texte : on y trouve rarement ce qu'on y cherche, les rédacteurs (les spécialistes) se souciant comme d'une guigne des cruels embarras où se débat le profane. Ou bien elles sont rédigées, ces histoires, comme les modes d'emploi des grille-pain ou des chaînes hi-fi : on les dirait maladroitement — oh combien ! — traduites du finnois ou du hopi, langues éminemment respectables mais d'expansion assez restreinte ; d'où la terminologie absconse et le salmigondis syntaxique...
Aussi faut-il savoir infiniment gré à Gilbert Hottois, professeur à l'Université Libre de Bruxelles, d'avoir ici visé à la clarté, sans rien dissimuler de l'opacité de certains penseurs (voir Heidegger, Derrida ou Lacan) ; d'avoir renoncé à une terminologie ésotérique pour s'en tenir au vocabulaire philosophique général ; d'avoir conçu un ouvrage de consultation et d'étude sérieuses ; d'avoir fait précéder l'exposition de chaque pensée ou de chaque mouvement de pensée d'une liste des mots-clefs qui servent de balises, ou de passe-partout, et d'avoir dressé de ces derniers un index général renvoyant aux chapitres qui en traitent particulièrement — ainsi la circulation dans le livre est-elle la plus fluide qu'on puisse espérer — ; d'avoir opéré un choix, dans un premier temps classique des philosophes étudiés (entre autres, Platon, Aristote, Spinoza, les empiristes anglais, le Siècle des Lumières, Kant, Hegel), dans un second temps qui témoigne d'une attention soutenue envers les dernières décennies du XXe siècle.
Cette attention, originale et bienvenue, est la conséquence obligée d'une profession de foi de l'auteur : la philosophie contemporaine lui paraît très vivante, et il entend nous en convaincre. Ainsi veut-il pour preuve de cette animation que les technosciences se réclament de cette pensée pour construire, et dieu sait si le besoin s'en fait sentir, une bioéthique. Evidemment, il en va des concepts comme des mailles d'un tricot : accrochez l'un ou l'une, c'est une ribambelle qui déboule. Cette philosophie contemporaine ne nous tombe pas du ciel, à l'instar d'une révélation. Elle aménage des concepts puisés dans son histoire. Un bon exemple nous en est fourni par l'évolutionnisme ; pour passer du fixisme (pas de filiation entre les fossiles et les espèces actuelles) au transformisme (la fonction crée l'organe) puis à la révolution darwinienne, que d'emprunts, que de filiations, que de renoncements aussi, jusqu'à ce que Darwin réfute (il est sain de le rappeler, comme le fait Hottois) toute idée de finalité ou de projet : « L'évolution [...] est placée sous le signe de l'aléatoire, de l'imprévisible et du mécanisme. » Rappel salutaire face à des anti-darwiniens qui, aujourd'hui encore, n'ont pas désarmé : les « créationnistes » adhérant au mythe de la création tel qu'il est raconté dans la Genèse, ne voient dans la théorie de l'évolution qu'une hypothèse, une fable mythologique. Où l'on voit bien, par parenthèse, que Gilbert Hottois annonce sans ambages la couleur en refusant à dieu, de la première à la dernière page, sa majuscule.
Pol Charles