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Critiques de livres

Jean-Paul RAEMDONCK
Pénombres. Histoires en gris et noir en huit endroits du monde
Paris
L’Harmattan
coll. Écritures
2010
116 p.
12,50 €

Entre chien et loup
par Francine Ghysen
Le Carnet et les Instants N°161

L’imagination et le plaisir du conteur se donnent libre cours dans les huit nouvelles que nous propose Jean-Paul Raemdonck sous le beau titre Pénombres. Huit histoires qui nous emportent aux quatre coins de la planète – et même au-delà ! – au fil de brèves rencontres, de péripéties singulières, parfois cocasses, d’autres fois tragiques, et même d’une énigme policière. Avec pour trait commun la solitude des personnages, et pour couleurs toute la gamme des mauves et des gris, jusqu’au noir implacable.
Gris rose frémissant du désir, du jeu silencieux de séduction entre un homme et une jeune fille, qui se sont à peine entrevus, mais se devinent aux aguets derrière la porte de leurs chambres voisines, dans un hôtel du Sri Lanka, à la nuit tombée. (Yes)
Gris anthracite de l’enquête qui conduit le pittoresque et rigoureux inspecteur Peck de l’un à l’autre des treize étages d’un immeuble new-yorkais, devant lequel a été découvert un mort « étendu dans son sang ». (Treize)
Mauve comme le moment d’amitié qu’un voyageur, de passage à Zagreb, offre à un inconnu dont la silhouette immobile, se découpant dans une fenêtre, l’a frappé, touché par son poids de solitude et de mélancolie. (Monsieur Sbin ?)
Bleu nuit comme le message ultime, d’une poignante sérénité, d’un astronaute perdu au large de la station spatiale. (Loin)
Noir comme la nuit où le jeu atroce d’un de ses cinq camarades – lequel ? – a plongé un homme qui, désormais aveugle, ne vit plus que pour démasquer son bourreau et se venger. « Des sens nouveaux me viennent. J’écoute et retiens tout, j’interroge. Je saurai. […] Tous suspects, tous coupables, en sursis, mais je les trahis tous : chacun ignore l’amitié que je lui ai retirée, la haine que je lui porte. Étranger parmi les miens comme à moi-même, aussi étranger que je le suis dans ma planète noire. » (Noir)
L’originalité, la verve inventive penchent tantôt vers une secrète compassion, tantôt vers une ironie savoureuse, un sens du rebondissement imprévu, qui éclatent dans Papiers et Otage. La tendresse, celle d’un père pour sa fille, partie une année en Argentine, rayonne dans le seul récit qui cède (pudiquement) à l’émotion. « Il prend de la distance, sa fierté a pâti de cet éloignement. Une de ses rares lettres, à la fin de son été à lui, le trahit : « Si ça ne va plus, n’oublie pas que tu n’as rien signé. Chiffon s’ennuie… » Le chat Chiffon n’a besoin de personne, il ne demande que le poêle à bûches. » (Ailleurs)
Chaque nouvelle est encadrée de citations. L’une d’entre elles, signée Jean Rouaud, pourrait figurer en épigraphe du livre : « Si l’aventure ne se vit pas au quotidien, il reste à faire de son quotidien une aventure. » Jean-Paul Raemdonck nous y invite. Car, si la vie, dans ces pages, se révèle souvent âpre et cruelle, elle est toujours multiple, captivante, imprévisible. Le possible palpite sous le réel, et une clarté filtre à travers la pénombre.