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Critiques de livres

Yves BUDIN (textes et illustrations)
Visions de Kerouac
Bruxelles
Les Carnets du Dessert de lune
2010
85 p.
35 €

Sur sa route
par Thierry Detienne
Le Carnet et les Instants N°161

La figure de l’auteur de Sur la route n’a pas cessé de fasciner des générations de lecteurs et sa mort en 1969 n’y a rien changé. Rendre hommage à celui qui se voulait insaisissable n’est guère chose aisée, mais il semble que le défi ait été ici relevé avec brio. D’abord parce que l’idée d’associer dessin et texte permet de coller au mieux à l’esprit du titre en juxtaposant mots et traits. Mais ce n’est qu’une des facettes de l’entreprise. L’auteur, qui tient à la fois la plume et le crayon, a renoncé d’emblée au récit exhaustif, au relevé biographique et littéraire minutieux, lui préférant une successions de courts textes impressionnistes cernés de portraits et de croquis d’ambiance. Tantôt d’un trait fin, tantôt à grands coups de noir avec des pointes de rouge pour mieux forcer le tourment, mais sans jamais oublier les volutes de l’éternelle cigarette. Epousant le style du grand Jack, il convie les mots pour mieux plonger dans les sinuosités du monde beat, rappelant leur ambition de l’expérience totale, tous les interdits dénoués. Et puis l’exprimer dans la musique et l’écriture : « Ecrire comme si on était le premier au monde à mettre humblement sincèrement sur le papier ce que l’on a vu entendu perdu aimé Peines désir pensées piquées par le dard ». Pour nourrir cette démarche, le voyage s’imposait, lui qui provoque l’inattendu, repères effacés. Voici New York, San Franciso et Tanger. Rejoints de préférence par les voies de traverse, en stop ou comme passager clandestin. Et à découvrir de nuit, dans le derniers bars ouverts, dans les souterrains obscurs. On est loin de l’univers étroit des Canucks, Canadiens français que Jean-Louis quittera pour le monde anglophone où il devient Jack. Restes collants d’ennui, de religion, d’école, de football. Et surtout l’envie de fuir. Figures d’Allen Ginsberg, de Neal Cassady et Bill Burroughs. Alcool, drogues et délires partagés ; la rage de tout vivre, de ne point dormir avant de s’écrouler et de le dire ensuite, comme pour mieux approcher le sacré. Se perdre de la femme et en changer le visage. Dépenser son dernier sou, frôler le dernier souffle et repartir ensuite. Maudire ce que l’on aime, sa propre image, ceux que l’on aime. Et faire danser ses doigts sur le clavier de la machine à écrire qui crépite à l’infini. Jusqu’à ce que le corps, cette enveloppe encombrante rongée par les poisons, incapable d’embrasser la démesure, décide d’en rester là alors qu’il y a encore tant de choses à faire. La boucle est bouclée, le voyage est complet, se fondant dans l’univers de Kerouac en un hommage fraternel.