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Critiques de livres

Pierre GILMAN
Presque bleu
Liège
Le Fram
104 p.
13 €

Douze veilles
par Serge Meurant
Le Carnet et les Instants N°165

Le beau livre de Pierre Gilman est écrit « dans la mémoire vive de Jacques Izoard ». Cette filiation est naturelle et se vérifie dans l’utilisation d’une langue riche et limpide, l’évocation du bleu de la pierre et de l’eau. Ce bleu qu’évoque un homme en fin de vie comme la couleur à l’origine « de son langage et comme une parole pour la vie ».
L’eau-forte et sa morsure du cuivre doublent les poèmes d’une présence visuelle et d’une couleur lumineuse et sombre à la fois. L’allusion à la gravure ouvre un espace aux images, le délimite et le démultiplie. « Eau-forte, écrit Pierre Gilman, dans la chaleur / coulées de courbes, de crêtes et de creux, / où respire un fleuve silencieux / multipliant plis et serpentements sans issue / dans les aplanures de l’acide éclaté. »
La rivière traverse le livre, élément d’un paysage irrigué où s’inscrivent les corps : « dire rivière creusée par la barque / aux planches courbes comme le corps / de cette femme … / risquant son cœur dans l’écart de ses mains. »
Les enfants, « petits dieux pèlerins de courte éternité », se faufilent partout au gré des souvenirs comme à la source de ces « travaux de petite beauté » auxquels se livre le poète. Leur présence bat comme le petit pouls de mots confiants dans l’obscurité de ces nuits éclairées par la veilleuse au cours des saisons comme jadis dans la chambre des enfants. L’insomnie de la nuit de janvier où l’homme attend « un dieu inconnu qui ait besoin de nos pas et de nos larmes ». La veilleuse des nuits de février où « quelques mots entre nous disaient d’autres mots, comme dessous du langage dans un plumier invisible ». Celle des nuits de mai, avec un œil sur chaque côté du monde.
L’exercice de la poésie, au cours de ces veilles, se traduit par les images concrètes d’arpentage : « Planter un pieu, un autre, un autre encore à l’infini, mais sans qu’ils forment jamais barrière au travers des éblouissements où franchir son propre désert »…
Des poèmes d’amour qu’inspirent quelques vers de Paul Celan scellent le livre généreux et fortement construit de Pierre Gilman.