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Critiques de livres

André-Marcel Adamek
Contes tirés du vin bleu
Loverval
Labor
coll. "Espace Nord"
150 p.

Tout l'art d'Adamek en sept contes
par Michel Paquot
Le Carnet et les Instants n° 147

Après dix romans écrits depuis 1970, dont un pour la jeunesse en 2002, Retour au village d'hiver, André-Marcel Adamek signe un premier recueil de nouvelles, Contes tirés du vin bleu. Pour faire patienter ses lecteurs – mais aussi son éditeur – dans l'attente de la parution de son prochain roman retardée pour cause de réécriture, affirme-t-il dans un demi-sourire. Car l'auteur du Maître des jardins noirs et de La Grande Nuit, qui a fait mille et un métiers en Wallonie et à Bruxelles avant de fonder les éditions Memory Press spécialisées dans la littérature régionale et la poésie, prend son temps. Pour que naisse un sujet l'habitant profondément et pour le mettre en mots. Ce temps passé à polir la phrase, à trouver le ton juste, se retrouve effectivement dans la force d'une écriture jamais bâclée ni, plus bonnement, relâchée. Chacun de ses livres, multipliant les thèmes et angles de vue, est une pierre supplémentaire au cœur d'un ensemble cohérent et magnifique. Une œuvre en majorité publiée en Belgique où il n'y a rien à jeter et qui fait de son auteur l'un de nos écrivains majeurs. Elle a d'ailleurs été primée à de multiples reprises : le Prix Rossel 1974 pour Le Fusil à pétales, son deuxième roman, le Prix Jean Macé 1984 pour Un imbécile au soleil, le Prix Triennal du roman de la Communauté française 1997 pour L'Oiseau des morts, celui du Parlement de la Communauté française 2000 pour Le Plus Grand sous-marin du monde et, pour La Grande Nuit, les prix Marcel Thiry et des Lycéens.

Voici donc un recueil intermédiaire composé de sept contes dont quatre ont paru dans la presse ou dans des ouvrages thématiques, sous une forme légèrement différente pour deux d'entre eux. Un recueil de surcroît publié dans une collection de poche. Opus mineur, alors? Que nenni! On aimerait, au contraire, que tous les livres dits «intermédiaires» soient de cette qualité! Il n'existe pas, aux yeux d'Adamek, de grands et de petits textes, le romancier y met une exigence et une authenticité identiques. On retrouve ici ce qui fait sa singularité, une plongée dans un imaginaire si proche de la normalité : des histoires merveilleuses, ou oniriques, ancrées dans des univers quotidiens, en des temps tantôt lointains, tantôt indéterminés. De quoi à la fois combler les fervents lecteurs de cet écrivain ardennais et amener ceux qui ne le connaissent pas à le découvrir plus amplement. Il est question de la recherche d'une traduction extrêmement rare du Cantique des cantiques pour le compte d'une femme aveugle. D'un gentil géant qui appauvrit appauvrit la région par la démesure de son appétit mais dont il est dangereux de prétendre changer la taille car «tout ce qui vient en ce monde est utile un jour où l'autre». D'une oie particulièrement néfaste qui tient son propriétaire sous sa domination. D'un redoutable dragon surgi des marais qu'affronte un forgeron, Georges de Nimy, et qui, indirectement, donnera naissance au Doudou montois. Ou encore de la hargne féroce d'un garde-chasse à l'égard d'un vigneron, qui les perdra l'un et l'autre. Et toujours, c'est un regard lucide et généreux sur notre condition d'homme qui finit par se décalquer de ces histoires. Dans l'un des récits les plus authentiquement fantastiques – à la demande du Seigneur, un homme construit une arche en rassemblant des dizaines d'espèces animales différentes –, le trait se fait plus aiguisé à l'égard de notre pays. «Vous n'ignorez pas, Seigneur, se désole le pauvre bougre en but à de multiples tracasseries administratives, qu'en ce beau pays condamné à bientôt disparaître, on ne peut changer la couleur de son mouchoir sans y être autorisé par une légion de bureaucrates et de censeurs.»

Cette pique mordante, et bien vue, est exceptionnelle dans une littérature entièrement tournée vers l'humain. «Il m'intéresse au premier chef, commente Adamek. Je le place dans un univers créé de toutes pièces et je le regarde réagir en le projetant dans des situations imaginaires. Le recours au fantastique est parfois une symbolique.»