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Critiques de livres


Michel ROZENBERG
Altérations
Editions du Colibris
F-70200 Saint-Germain
2006
158 p.

Progressive distorsion du réel

Les nouvelles commencent normale­ment, banalement même. Un peintre de rue est contacté par un amateur d'art qui l'invite à venir travailler dans sa grande propriété ; un voyageur arrive de nuit dans un hôtel renseigné sur un feuillet publicitaire ; le narrateur se rend à une soirée chez un richissime baron où sont présents les no­tables du village ; un chômeur est engagé pour charger, de nuit, des paquets qu'il ne doit sous aucun prétexte ouvrir ; un automo­biliste prend en chasse une voiture qui lui a grillé sa priorité de droite ; un journaliste, qui a créé une tribune accueillant les récits de victimes de faits divers, reçoit une lettre qui l'intrigue ; un auteur de romans policiers en mal d'inspiration loue sur la côte belge un bâtiment qu'il a connu enfant ; un homme prend quelques jours de vacances en empor­tant les lettres que lui a confiées son meilleur ami parti dans le nord de l'Angleterre. Plus ou moins rapidement, le héros sent que quelque chose vacille, ne tourne plus très rond, que la réalité se couvre d'atours inhabi­tuels. Des indices étranges se multiplient. Et il se trouve bientôt entraîné dans un monde parallèle sur lequel il n'a plus de prise. Ce nouvel univers n'est pas à proprement parler fantastique, le lien avec la réalité n'étant ja­mais rompu, mais il est autre, comme une distorsion du réel. Une distorsion d'autant plus angoissante, terrifiante même, qu'elle possède les couleurs de la mort ou de la folie. Avec les dix textes qui composent son re­cueil intitulé Altérations, Michel Rozenberg frappe fort. Né à Uccle en 1959, passionné par la littérature fantastique célébrée par Thomas Owen, Jean Ray, Edgar Allan Poe ou Lovecraft, il a publié plusieurs histoires dans des revues avant cet impeccable premier livre qui paraît chez un petit éditeur français, le Colibris.

Tout au long de ces textes, qui se passent tous en Belgique, à Bruxelles, à Liège ou à la mer, nous évoluons sur un fil ténu, tendu entre la normalité et l'étrange, sans savoir de quel côté nous penchons et risquons de tomber. Avec une grande maîtrise dans la construction de ces récits portés par une langue très pure, ma­niant avec efficacité et tact l'art du suspense, l'auteur se refuse en outre — et avec raison — à fournir une explication rationnelle à ces mystères. Après le point final, c'est le doute qui nous pénètre. Et nous donne envie de re­lire la nouvelle pour la comprendre. Tentative vaine, évidemment.

Malgré quelques faiblesses ci et là, Michel Rozenberg fait preuve d'une étonnante ma­turité d'écriture. Sans trop risquer de se tromper, on peut parier sur son avenir d'écrivain.

Michel Paquot