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Critiques de livres


Colette HELLINGS
Avez-vous un frère ?
Editions Luce Wilquin
collection Sméraldine
1998
128 p.

Etat limite

Parfois, il suffit d'un peu de riz froid pour que les souvenirs vous prennent à la gorge et vous étouffent. Une image, une sensation, le passé survient, ra­vageur. Avez-vous un frère de Colette Hellings explore cet univers des mots qui s'en­chaînent, des images qui s'appellent, cet univers du retour sur soi où l'on fouille avi­dement le passé pour y trouver les clés du présent.

Dans la gorge de Clara, dans la vie de Clara, le riz froid, fût-il décoré de carottes taillées en fleurs, fût-il préparé avec ten­dresse par son amant, le riz froid ne passe pas.

Elle observait ses parents avec aigreur, ils mangeaient leur riz, elle décortiquait féro­cement leurs petites manies lorsque le télé­phone a sonné. Alain, son frère, venait de réussir sa tentative de suicide. Dans son his­toire, la mort d'un frère bien-aimé et les grains de riz sont désormais étroitement liés. A jamais. La texture des grains, le vert des murs de l'hôpital, l'odeur acre de désin­fectant, les sirènes des ambulances. Finis les petits bonheurs, la douceur acide des citronettes, la musique de Mozart, la ta­pisserie de la bergère, l'odeur des épices mê­lées à l'acétone, l'amertume du chocolat noir de noir, le goût du vin chipé à deux dans la cave paternelle, finies les danses, les mimes aux parfums interdits... La fratrie est anéantie. La vie de Clara bascule d'un univers à l'autre. Elle est enfin fille unique mais ne le supporte pas. Etat limite, frontière hésitante entre la folie et la raison, Clara perd ses repères. Au-delà du flou, elle décrit avec causticité les atti­tudes gauches et insupportables d'une petite femme boulotte et masculine, d'un homme rêveur et falot, ses parents. Monstrueux, tra­giques, pitoyables. D'un médecin l'autre, ils cherchent, les pauvres, à lui faire réintégrer leur réalité, une réalité dont elle ne veut pas, que son corps refuse, comme il refusait les vitamines du foie de veau lorsqu'elle était petite.

Faut-il la trépaner pour que s'envolent ces affreuses migraines ? Faut-il l'enfermer pour la protéger ? Faut-il qu'elle engloutisse « la parfaite panoplie du petit voyageur plan­ant » prescrite par les médecins ? Faut-il convoquer les ombres du passé, les images insoutenables, les scènes d'enfance ? Le salut vient de l'horreur, de façon inat­tendue. Et aussi de la lecture de Dolto ou Bettelheim. S'ils ont élucidé tant de cas, pourquoi Clara n'aurait-elle pas cette chan­ce : pourquoi quelqu'un de leur trempe ne trouverait-il pas un jour la solution de son labyrinthe à elle ?

L'histoire de Clara racontée par Colette Hellings semble vouloir jouer à son tour ce rôle pour d'autres. La quatrième de couver­ture n'en fait pas mystère, Avez-vous un frère est un premier roman pour adultes écrit au cours de la formation de psychothérapeute de Colette Hellings, jusque là auteur de livres pour enfants. La dédicace remercie « ceux qui ont cru dans son écriture » et « l'ont réchauffée lorsque sa plume se ge­lait ». Autant d'indices de la profondeur de la démarche... Mais, ce livre est-il un roman ? Certes, il ne se présente pas comme une autobiographie, comme une histoire personnelle. Si certaines scènes jouissent vi­siblement de l'appui, de la force du vécu, tant d'autres ont l'air d'avoir été pesées, me­surées, avant d'être livrées... comme à l'appui d'une démonstration plutôt que dans le flux d'une écriture nouée par l'ima­gination.

Sentiment trouble. La dérive de Clara relève à la fois de la catharsis et de l'illustration de cas même si elle s'offre quelques échappées dans le romanesque. Cela ne suffit pas à en faire un roman.

Nicole Widart