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Critiques de livres

Sophie Buyse
Autopsy
Bruxelles
Maelström éditions
2007
169 p.

Jeu avec les mots, jeu avec l'histoire
par Jeannine Paque
Le Carnet et les Instants n° 148

Considérer le titre du dernier livre de Sophie Buyse, Autopsy, comme un simple jeu de mots serait réducteur. Néologisme, il est à prendre au pied de la lettre, c'est-à-dire dans tous les sens possibles. En tout cas, il faut y voir, dès la couverture, un programme et aussi une qualification d'ensemble, car, à l'inverse de l'usage dans les volumes de nouvelles ou d'histoires, Autopsy n'est le titre d'aucun des onze récits qui composent le recueil. Ajoutez à cela l'information non innocente que l'auteure est «psy» – psychologue, psychothérapeute : complètera qui pourra et comme on le voudra –, le sujet ne serait autre qu'elle-même. Certains des textes ne laissent aucun doute là-dessus, du moins paraissent-ils sans mystère quant à la personne qui s'exprime, aux allusions à son passé, à son œuvre, à sa vie intime, aux références précises à la réalité. D'autres semblent différents et, apparemment éloignés du genre autobiographique, appartenir à la fiction. Mais peut-on en être sûr, alors que s'y cache peut-être un autre reflet de la personnalité de celle qui écrit, que s'y devine une voix plus secrète? «Scènes d'enfants », «Le cache-poussière», «Le latiniste» se réfèrent explicitement à des souvenirs propres. Ce ne sont que des fragments mais on en soupçonne aisément l'importance capitale, ils résonnent fort et haut, plantent les jalons d'une vie qui ne se déroule pas tout entière. Ainsi, «Bestiaire» est bien plus qu'une histoire d'enfant et de petits compagnons de jeu et donne à lire plus d'une confidence sur la personne qui la raconte : «Les animaux familiers sont à la fois source de grands bonheurs et de grands malheurs, leurs histoires de vie ne sont jamais anodines, elles côtoient de très près notre vécu. […] L'attachement que je portais aux animaux depuis mon plus jeune âge me révélait les traits cachés de ma personnalité, la puissance de mes désirs, de mes passions amoureuses.»

Plus mystérieux, un texte comme «Épitaphe» bouleverse ou effraie, c'est selon, tant le témoignage est convaincant dans sa littéralité, au-delà de toute prétention esthétique : presque un document. Autobiographique ou pas, la force du lien qu'on perçoit dans ce récit dépasse les mots pour le dire. Parfois, la narration passe par un médiateur ou une médiatrice, les voix se multiplient, dialoguent, comme dans «Le général». Façon originale de se mettre en question, de compléter aussi des textes précédents, d'en assurer le prolongement, la bonne compréhension ou, au contraire, d'y inscrire un doute salutaire. Curieux projet, par exemple, que celui de cette femme qui choisirait d'organiser sa mort, de se suicider par l'intermédiaire de celui dont elle va armer la main. Un beau fantasme ou un fait divers? «Momies», développement sur des «momies amies», serait le propos de variations stylistiques et autres – on songe à L'organiste (Maelström éditions, 2002) et au registre de la musique. Il en va de même pour «Le veilleur de nuit» qui, sous un titre innocent, révèle une organisation complexe qui en appelle à l'art de la fugue ou du contrepoint, aux arcanes de la composition musicale. Ailleurs, Sophie Buyse rend hommage à la peinture, ou plus exactement à un peintre, Zoran Music, qu'elle aime et admire et qui est lié à son enfance vénitienne. La création artistique au sens large est au cœur de la réflexion de l'écrivaine. On la devine attachée à définir comment décrire avec franchise et fidélité à la réalité alors qu'on est tenté de ne garder que les images agréables et que, par ailleurs, il faut se défier de l'esthétisme, ne pas altérer le vivant, se préoccuper aussi du destinataire… L'engagement est évident dans un texte comme «Photocopie».

Au terme de la lecture, on peut avoir l'illusion de mieux connaître Sophie Buyse, mais aussi la certitude d'avoir appris à vivre plus intensément à travers les mots et à aimer ce qu'elle appelle les édifices humains.