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Critiques de livres


Serge FEDERICO
Calixte
Le Cri
2002
152 p.

Avant qu'il ne soit trop tard

Si on en croit le roman (mais c'est un roman), Serge Federico a eu l'idée de Calixte après une réunion des anciens rhétoriciens de l'Athénée du Sacré-Cœur au cours de laquelle un de ses condisciples de l'époque (Jean-Christophe) lui a raconté un épisode de sa vie, celui de son amour pour une femme qui a débarqué chez lui presque par hasard avec une enfant noire prénommée Calixte : elle venait de quitter un mari qui la battait. Elle retournera avec lui quelques mois plus tard. Il en ignorera toujours la rai­son. Serge Federico a imaginé cette raison, d'autres choses aussi, beaucoup d'autres choses même, et en a fait son deuxième roman. Peu importe que cette anecdote soit vraie ou pas, le plus remarquable est que l'écrivain se mette en scène pendant quelques pages, qu'il ancre ainsi ce récit dans la réalité — ce qui donne davantage de poids à la mo­rale de l'histoire et lui permet d'ouvrir un spectre de genres littéraires qui va, disons, de l'autofiction au roman d'anticipation. Le but ultime étant, à ce que l'on peut déduire, d'écrire (intransitivement) et de parler de l'état du monde actuel. Si le roman est né du récit de Jean-Chris­tophe, il trouve une autre de ses origines dans le génocide du Rwanda. De toute sa fa­mille, Calixte est la seule à avoir survécu au massacre. Lorsqu'à son tour elle disparaît (en 2019), plus aucun enfant ne naît en Bel­gique. Comment est-ce possible ? Comment en est-on arrivé là ? Voilà ce que se demande Dieu. Aussi ordonne-t-il à un ange gardien de mener l'enquête. Pour se faire, celui-ci commence par occuper l'enveloppe char­nelle de tous les proches de Calixte puis, dans la seconde partie du livre, il s'incorpo­rera dans celle, unique, d'un adolescent qui vient de se suicider, à qui il redonne vie. En quelque sorte. Car si le corps est bien celui de l'adolescent, l'esprit, lui, appartient à l'ange. En quelque sorte. C'est moins simple que cela. En tous les cas, cela permet de re­tourner à quelques bonnes vieilles questions sur la dissociation du corps et de l'esprit. Sous cette nouvelle enveloppe chamelle, il fréquentera Calixte, tombera amoureux d'elle, couchera avec sa mère et il lui arrivera nombre d'aventures qui sont autant d'étapes pour apprendre à devenir un homme. Ce qui n'est déjà pas simple en temps normal mais qui se complique encore dans un futur où une grande partie du monde sera à feu et à sang. Car selon les prévisions de Serge Fe­derico, rien de ce qui se trame aujourd'hui ne s'arrangera, tout ne fera même qu'empi­rer : la propagation de l'idéologie d'extrême droite, le capitalisme envahissant et écrasant les pays les plus pauvres du monde... A moins que de se réveiller. Mais est-ce que l'art est assez puissant pour que l'on entende cet appel, ou d'autres, celui de Michael Moore (Bowling for Columbine) par exem­ple, et que l'on réagisse avant qu'il ne soit trop tard ?

Michel Zumkir