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Critiques de livres

Marco Carbocci
Sur les épaules du fleuve
Éd. du Héron
2006
88 pages

Le chemin des collines
par Laurence Vanpaeschen
Le Carnet et les Instants n° 143

Les histoires des hommes, celles de leur sueur, de leurs larmes et de leurs rires, celles qu'ils ont vécues et celles qu'ils ont inventées pour grandir ou se protéger, sont le terreau sans lequel aucun être humain ne peut exister. «Ce sont nos racines. Un homme sans racines n'est pas un homme!» La mémoire du peuple étrusque qui bruisse encore dans la nécropole de cette colline toscane, et l'histoire de ce vieux obligé de quitter le village encore enfant avec son père pour éviter la famine aux siens, sont les racines de Marco Carbocci. Les mêmes luttes, les mêmes résistances contre la misère, les saisons, les envahisseurs ou les fascistes. C'est cela qu'il raconte dans la nouvelle qui ouvre son recueil Sur les épaules du fleuve, celle où il converse toute une nuit avec son grand-père, environnés de ce «quelque chose de secret qui appartenait seulement au maquis et à la vie dans les collines», avec ce grand-père mort depuis quarante ans.

C'est cela aussi qu'il dit dans le second récit, celui des dix-huit ans, où il se plonge pendant des mois dans le maquis toscan de ses origines, presque seul, loin de la grande ville grise où son père s'est exilé et où il est né, où les Italiens ne font plus qu'être vieux, tirent leurs huit heures à la Communauté Européenne ou derrière le comptoir de leur épicerie, loin des amis d'enfance «à qui tu n'as rien de solide à avouer sur toi-même», loin d'un monde d'insatisfaction des autres et de soi, un monde avec lequel il ne concevait plus de rapport «qu'en termes d'insolence ou de repli sur moi-même».
Il apprendra peu à peu la vie du maquis, qui semble tantôt agité d'êtres «formidables et secrets», de mythes «d'au-delà de la vie», tantôt un bout du monde abandonné, où le temps ne s'écoule pas, une vie inerte qui le renvoie à «l'inertie de sa propre existence». Puis il en découvre les habitants et leurs histoires, qui se confondent avec «l'histoire de la terre rouge de Toscane et de la poussière et du vent et des orages».

La rencontre avec la vieille Afrosina, dont le visage semble raconter «une histoire très ancienne et secrète» va peupler ces collines où il se croyait seul. Il va les arpenter et en apprendre chaque taillis avec Renzo et les autres, passer des soirées à descendre des pizzas, à parler de Pavese ou de la guerre fasciste, à écouter parler de ceux qui sont morts après une vie de lutte contre la rocaille… De ces gens dont il lui semblera qu'il les connaît depuis toujours. «C'était toujours la même vie et la même histoire et c'était en train de devenir aussi mon histoire». Et dont il apprendra aussi que cette histoire, il s'agit avant tout de l'ancrer en soi, et que même dans la brume de Bruxelles, on peut suivre le chemin des collines, celui «qui ne s'arrête qu'au bout du monde».

On voudrait pouvoir lire plus souvent Marco Carbocci, lui qui sait dire des choses justes et belles dans une langue sans fioritures, une langue qui donne à toucher, à sentir, à entendre. Une langue qui ressemble à ce maquis qui est en lui. On l'attend donc.