pdl

Critiques de livres


Lydia FLEM
Comment j'ai vidé la maison de mes parents
Paris
éditions du Seuil
La Librairie du XXIe siècle
2004
151 p.

Le travail du vide à temps plein

Orphelin de ses deux parents, on en devient par là-même héritier. En général. De cet état que l'on n'a pas choisi, on peut se demander si on est le destinataire, la victime ou l'usurpateur. Aussi simple est le titre de ce livre, Comment j'ai vidé la maison de mes parents, aussi simple­ment s'en décline le récit, méthodique comme le rangement qu'il tente et qui procède par paliers ou plutôt par catégories, comme les chapitres d'une histoire et leur titre. Oscillant entre nostalgie et accablement, Lydia Flem constate avec surprise qu'affronter la douleur, l'absence définitive des êtres chers, en un mot le vide, revient à combattre le plein, le trop-plein de leur maison, d'un ensemble de vies interrompues livré brut dont on ne sait que faire en l'abordant. Comment s'y attacher sans effroi, comment en oser l'effraction, en trouver le courage ? Dans ce désordre obligé — « par où commencer ? » —, Lydia Flem s'efforce de tracer des voies de pénétration dis­tinctes, seul moyen de conjurer l'impression de dévastation qui l'envahit, au figuré comme au propre. Les papiers innombrables, les ob­jets les plus hétéroclites, les bouts de chan­delles (au vrai !), les collections inattendues, les photos révélatrices, les vêtements qu'habité encore un ordonnancement maternel, en sou­lignant l'irrémédiable absence, tout cela qui à la longue finira par se soumettre docilement au tri et aux traitements diversifiés de l'héritière retient encore le geste, conduit d'abord à penser, à s'attendrir, à hésiter. Il faut du temps, des efforts répétés pour enfin décider du sort de chacune des choses dont on ne peut s'empêcher de faire le catalogue. Elles de­viendront souvenirs que l'on veut conserver, cadeaux que l'on donne à des amis, à des pa­rents, rebuts dont s'empareront les marchands ou — décision difficile et ultime — déchets dont on se débarrasse quand on le peut. Mais ce livre ne serait qu'un inventaire si l'auteure, à tout moment, ne faisait parler chacune de ses retrouvailles ou découvertes. Car chaque parcelle de la maison, chaque objet qui s'y trouve a son histoire, tantôt lé­gère et fugitive, tantôt fondamentale. Plus qu'au souvenir d'ailleurs, c'est à une ren­contre que s'ouvre la maison, elle invite à lire un passé dont l'enfant n'avait qu'une faible idée ou pas la moindre. D'odieux pirate ou de rapace, l'héritière doit se muer en officiant cultuel et légitimer sa besogne en faisant sens de ses découvertes. C'est un peu comme si, selon ses propres mots, elle se faisait la psy­chanalyste de ses parents pour enfin les connaître et les comprendre. Pour enfin en parler, en écrire. « Fille de mots et de pa­pier », elle ne peut en effet capter les affects que par l'écriture. C'est ainsi que, né du deuil, ce livre s'impose soudain à elle. C'est le récit de cette genèse qui en fait l'originalité. Enfin, dépassant sa douleur personnelle, Lydia Flem en arrive à décrire l'universelle problématique de la perte : « un mal qui nous frappe tous et nous laisse cois ». Ce qui nous vaut un chapitre liminaire très dense, très fort et remarquable par la rigueur et l'économie de la formule où chaque mot frappe, sur le nécessaire travail du vide que chacun fait comme il peut. Épreuve diffé­rente de la franche douleur et que générale­ment l'on tait tant elle s'apparente peut-être à un meurtre symbolique. Épreuve libéra­toire aussi et doublement lorsqu'on peut en faire un livre.

Jeannine Paque