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Critiques de livres


Olivier DUCULOT
Continuer
Montréal
Editions Point de fuite
2003
(www.pointdefuite.com)
119 p.

Futile et futé

 Continuer, le premier roman d'Oli­vier Duculot, paraît débuter sous les pires auspices. Il cumulerait les poncifs. D'emblée, le lecteur se croit en présence d'une autofiction où l'auteur/narrateur   étalerait   complaisamment les menus épisodes de sa palpi­tante vie. S'y ajouterait la paludéenne mise en abyme du roman en train de ne pas s'écrire, de la création qui tourne à vide. Et le lecteur de refermer le livre et de passer à autre chose — mais non, justement non, car si l'auteur ne se paie pas notre tête, il est clair qu'il joue et qu'en jouant il écrit et que, de même que Jean-Philippe Toussaint ne raconte pas uniquement des histoires de glandeurs dans une chambre d'hôtel ou une salle de bains, il communique in fine des idées sur la fiction et sur l'immémoriale angoisse que génère le fait d'être en vie, c'est-à-dire à peu près mort.

S'il pose dès la première ligne une équivalence entre le texte à lire et le roman qu'il prétend écrire (« J'ai écrit un premier roman. Pas de ré­ponse. Voici le deuxième »), Olivier Duculot s'empresse de la saper quelques phrases plus loin. L'ambi­guïté quant au statut de l'œuvre se prolonge jusqu'à la fin sous diverses formes. Tout d'abord, l'auteur mul­tiplie les données factuelles, dont certaines semblent peu contestables. Ainsi le parcours biographique du narrateur rejoint-il celui de l'écri­vain : études en Philosophie et Lettres à Liège puis études de pho­tographie d'art, voyage et installa­tion au Québec. Olivier Duculot s'autorise même le détail qui tue : ah la scène où il a rendez-vous avec « un de ses profs de littérature. Une femme. Qui a écrit sur Duras » : « Je suis à la ter­rasse d'un café. Je l'attends. Elle arrive en retard. Elle sort d'un conseil de faculté épuisant, dit-elle. Ces gens qui prennent la parole pour s'écouter parler parce que la prise de parole est avant tout un acte de pouvoir... » — cela fonctionne comme un clin d'œil aux initiés, quasi un private joke, confirmé d'ailleurs par la chute, quand « un de ses collègues est ar­rivé. Un professeur de philosophie. Il s'est assis sans qu’elle l'invite. Il dit : Derrida est à Liège ». En d'autres endroits, les choses sont moins sûres, le narrateur nous promène allègrement sur le fil du vraisemblable, il interpelle notre pos­sible niaiserie, notre éventuelle crédulité : « Une étudiante en littérature qui ferait mon menace, c'est possible ? Est-ce que vous m'auriez cru ? M'auriez-vous deviné ? » Mettant en cause et révo­quant une créature vieille d'une quin­zaine de pages, il sème le trouble à pro­pos du contexte où elle apparue (un accident de la circulation qui le laisse paralysé) mais force le lecteur à ad­mettre, pour un temps du moins, l'exis­tence de Patricia, l'autre candidate femme de ménage. Cette dernière, dont la destinée s'avéra singulièrement mélo­dramatique — en version guimauve, people et staracadémique — provoque une sorte de dédoublement de la mise en abyme : Continuer n'est plus seule­ment le livre en train de s'écrire — et que nous sommes en train de lire — c'est aussi la bio, bientôt refusée par l'éditeur, d'une starlette déchue. Que lis-tu, semble nous demander malicieusement Olivier Duculot, quel livre crois-tu tenir en mains ? Dans un épilogue presque pongien, le narrateur, rendu impuissant par son accident, retrouve sa vigueur perdue et « band(e) » à nouveau — comme aussi le texte est fait. Après une entrée en matière volontairement sous le signe de la futilité, Continuer se révèle être un roman futé, dont la lecture est particulièrement jubilatoire. Christine Angot et Camille Laurens ont beau y être ci­tées, je le placerais plutôt dans le voisinage des narrations ironiques de la postmodernité.

Laurent Robert