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Critiques de livres


Chantal Deltenre
La Cérémonie des poupées
Bruxelles
Maelström éditions
2005
123 p.

Passé antérieur
par Laurent Robert
Le Carnet et les Instants n° 140

Avec La Cérémonie des poupées, Chantal Deltenre a signé un roman symbolique, à l'écriture dense, ostensiblement retenue. C'est aussi que lecteur ne doit pas tout savoir, qu'il doit deviner, entre les mots, entre les lignes, ce que la narratrice ne dit pas, ce qu'elle ne veut ou ne peut s'avouer à elle-même. Les familles, dit-on, recèlent de misérables petits tas de secrets; mais les secrets ne sont pas toujours misérables quand ce n'est autre qu'un père, une mère qui ont voulu, en taisant leur histoire, se protéger et protéger leur enfant.

Keiko est japonaise, mais elle a toujours vécu à Paris. Un jour, son père, qui est professeur de japonais à l'Institut des Langues orientales, lui présente Pierre, un de ses étudiants. Keiko et Pierre tombent amoureux et, après deux ans de vie commune, décident de s'installer au Japon. Pierre est le plus enthousiaste, face à ce nouveau pays qu'il veut faire sien. Keiko est plus réservée, beaucoup plus sur la défensive. Peu à peu, un malaise diffus s'instille en elle. Elle s'efforce de sortir le moins possible, se replie dans un appartement où tout fait sens et devient menaçant. Loin de rompre l'excès de symbole que charrie chaque pièce, chaque objet, elle le conforte plutôt ; on dirait même qu'elle veut créer une forêt de symboles, jusqu'à en être prisonnière, jusqu'à y étouffer, jusqu'à s'y consumer. Elle élabore, sur la terrasse de l'appartement, un mini jardin de pierres volcaniques – de pierres comme Pierre et comme Keiko signifie pierre, mais ce symbole-là est factice, c'est le nœud à trancher, l'abcès qui doit inexorablement se percer. L'harmonie japonaise – avec Pierre, ce grand blond qui se rêve japonais, et Keiko enfin présente au pays de ses parents – est un leurre; elle est inconcevable tant que Keiko n'a pas trouvé la paix intérieure, tant qu'elle joue à l'épouse japonaise parfaite pour mieux celer le feu intérieur qui la brûle. Le lecteur ne tarde guère à comprendre que ce qui conduit Keiko aux portes de la folie a trait au silence de ses parents sur la guerre, sur la manière dont ils l'ont vécue, sur les proches disparus dans les bombardements – atomiques ou non. Il n'est pas possible à la jeune femme de nouer quelque lien avec le Japon, si elle ignore presque tout de l'histoire de ses parents dans ce pays et des raisons pour lesquelles ils en sont partis. Ce n'est naturellement pas un hasard si la symbolique du feu – pierre volcanique, étincelles, chaleur, incendie… – s'insinue dans l'ensemble du texte. Mais tout, chez Chantal Deltenre, est transcrit subtilement, par petites touches, de sorte qu'au fil des pages un réseau de signes se tisse que le lecteur est amené à décrypter. Et l'on en vient presque à regretter que dans un ultime court chapitre Keiko décide de s'expliquer, car tout l'implicite du texte est alors dévoilé.