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Critiques de livres

Paul De Ré
La dernière bètchète
Tome 1. L'écume et le flot
Liège
Clé éditions littéraires
2006
256 p.

Mariniers de l'Ourthe
par Thierry Detienne
Le Carnet et les Instants n° 147

Savez-vous que l'Ourthe, avant d'égayer une merveilleuse terre de vacances, était un cours d'eau navigable sur plusieurs dizaines de kilomètres. Et qu'un projet grandiose, entamé au début du XIXe siècle, visait à construire un canal reliant la Meuse à la Moselle qui devait suivre le cours de l'Ourthe jusque bien loin dans nos Ardennes? Avec pour objectif premier de désenclaver les collines aux chemins boueux et peu sûrs. Évidemment, c'était avant que le chemin de fer s' impose en maître, laissant le projet inachevé. De tout cela, Paul De Ré s'est emparé pour nous ramener aux années 1900 dans le pays de la pierre, entre Ourthe et Amblève. Le fil conducteur du roman est donné par l' histoire de Jean-Denis Delva, un jeune homme que la fin de l'école précipite bien tôt dans la vie active. Il s'attendait à prendre la relève de son père, batelier aux commande de sa bètchète, barque à fond plat dans laquelle il transporte surtout des moellons et pavés extraits des carrières de la région vers la grande ville de Liège en pleine expansion. Mais le paternel est bien lucide : il sait que cette voie professionnelle est à terme sans issue. Il a d'autres projets pour son fils qui le conduisent dans la ferme d'un parent auprès de qui il apprend le métier d'agriculteur. Dans ses rares moment de détente, le garçon revient à la maison, puis arpente la région sur un vélo acheté avec ses premières paies. À ses côtés, nous découvrons la vie quotidienne des petites gens, les moments de fêtes collectives, l'ouverture sur le monde qu'apportent
qu'apportent la presse et les transports en commun. Et nous voyons s'éteindre aussi l'univers des bateliers qui finiront perdants dans la course avec le train, eux dont le rythme de travail est soumis aux caprices de la rivière. Dans cette époque profondément marquée par les croyances religieuses, Jean-Denis découvre la liberté alors que sa cousine, dont il est éperdument amoureux, se destine à la vie recluse des moniales. C'est qu'il lui faudra aller voir ailleurs et arpenter encore le pays sur son vélo… Ce roman singulier pose la première pierre d'une quadrilogie ambitieuse qui rend pleinement vie à une époque foisonnante de nouveautés. Paul De Ré n'est pas un apprenti de l'écriture. Il s'est fait connaître jadis comme chanteur accompli, auteur-compositeur interprète. Il rêvait depuis longtemps de donner libre cours à sa nouvelle passion du roman tout en valorisant les informations glanées dans la presse régionale de l'époque qu'il a relue avec patience pendant plusieurs années. Histoire de s'immerger lui-même et entièrement dans une époque dont ne nous sont souvent parvenus que les grands titres, forcément réducteurs. Ses dons de conteur, combinés à l'authenticité des faits évoqués, qui vont des événements historiques jusqu'aux anecdotes savoureuses dignes des faits divers, font de ce récit écrit avec soin une forme de saga qui devrait séduire des lecteurs bien audelà de Liège.