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Critiques de livres

Xavier Deutsch
Carnaval à Fada N'Gouma
Charleroi
Couleur livres
2007
95 p.

Et des poussières
par Thierry Detienne
Le Carnet et les Instants n° 150

Une ville au plus profond de l'Afrique, aux frontières des repères qui guident les Occidentaux. Avec le poids de sa tradition, la misère qui rôde, le soleil impitoyable. Des Blancs y séjournent ou y passent pour des motifs divers. Deux Belges y ont élu domicile. L'un d'eux dirige un projet de développement visant à construire un barrage permettant de nouvelles cultures. Un autre, jeune et impatient, est venu aussi par idéal rejoindre ce projet, mais il encaisse mal le climat et trébuche dans ses idées, ne comprenant rien à la dynamique locale. Il se vide et décline à mesure qu'il combat contre des moulins avec la force du désespoir, comme pour payer une dette venue du fond des âges. Et puis des personnages moins nets viennent de débarquer. Ils sont quatre à rechercher une femme peule ou poulotte ; le premier pour la convertir à la foi protestante, le second pour servir les intérêts de la CIA, le troisième veut l'acquérir pour son bon plaisir et le dernier veut s'en emparer pour des raisons qu'il préfère ne pas détailler. Les trafiquants en tous genres s'affairent dans la torpeur, écumant force bières et s'épongeant le front, arborant sans vergogne les valeurs de ceux qui, de jadis à aujourd'hui, ont pillé le continent, ses hommes et ses ressources. Ce qu'ils convoitent, chose ou personne, est à prendre, au mieux en payant et en soudoyant les autorités locales. Ils décident à la place des autres, dans le meilleur des cas en pensant faire leur bien. Ce petit monde gesticule, fait voler la poussière et les injures en un carnaval épuisant. Comment pourrait-il comprendre que toute activité s'arrête lorsque gît le corps d'un homme à côté d'une moto ?

Ce roman bref qui se plaît à prendre des accents de mystère n'a en fait rien d'un thriller ou d'une chasse à la femme. Les enjeux de chacun posés, on peut craindre le pire. Mais en fait, c'est l'Afrique qui prend le dessus, évinçant ceux qui croient la dompter. Un peuple de pâtres conduit ses bêtes, tout à la fois vulnérable et insaisissable dans l'espace, fort de ses légendes et fier de ses femmes aux parures royales. Il saura se défendre le moment venu, sans calcul autre, et reprendra sa route, imperturbable et majestueux.

Xavier Deutsch, qui aime décidément à s'imprégner de l'ambiance des régions où sévit la folie des hommes, préfère la fable au documentaire. Ou plutôt assortit la réalité au fabuleux. Ce conte, dont on pourrait redouter qu'il franchisse les limites de l'écrit militant, ne donne pas dans le simplisme du plaidoyer, même s'il arbore la marque d'une organisation non-gouvernementale. Il s'en prémunit résolument en n'épargnant pas les revers des bons sentiments. La forme et l'écriture sont à l'avenant, déployant les atours d'un roman aux accents poétiques : dans le tourbillon, les masques tombent et s'échangent parfois sans que l'on y prenne garde. Les langues se délient, les mots virevoltent et se renvoient leurs sons, échangeant leurs images, détournant leur sens commun pour le plaisir de l'histoire dont la trame défile.