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Critiques de livres


Colette NYS-MAZURE
Feux dans la nuit, Poésie 1969-2002
La Renaissance du livre
2003
423 p.

Transcender au quotidien

«Je sais la mort, le vide, l'angoisse suante. Je pourrais hurler au mal, à la nuit.

(...)

Je dis la beauté du monde toujours offerte, Là sous mes doigts, sous mes yeux. »

La publication de Feux dans la nuit, copieuse anthologie personnelle qui vient de paraître à La Renaissance du Livre, fournit une bonne occasion d'appré­cier la cohérence du projet poétique de Co­lette Nys-Mazure commencé il y a un peu plus de trente ans. La clé de voûte de ce projet peut se résumer par trois vers extraits de « Parti pris », le poème qui inaugure le volume :

L'espérance apprise,

la sève obstinée,

la chanson patiente.

On y trouve l'optimisme qui ne va pas de soi. A l'âge de sept ans, l'auteur a perdu, en l'espace de trois mois, son père et sa mère. Ce drame fondateur explique l'importance de l'enfance dans l'œuvre à la fois comme paradis perdu et terreau d'angoisse. On y trouve aussi la pulsion de vie qui l'emporte toujours et le travail de décantation qui s'opère avec le poème.


Colette NYS-MAZURE
Seuils de Loire
coédition Le Dé-bleu/Ecrits des Forges
2003
141 p.

La poésie de Colette Nys-Mazure peut s'en­visager comme une action de grâce. Mais on ne peut réduire son œuvre à sa dimen­sion chrétienne, bien qu'elle ne renie pas cette appartenance. Dans la lecture qui conclut l'anthologie, Eric Brogniet définit le fondement philosophique de cette poésie par une pirouette : ce n'est peut-être pas (...) le verbe qui s'est fait chair, mais la chair qui, continûment, se fait verbe — qui reformule la célèbre phrase de Rilke : les vers ne sont pas, comme certains croient, des sentiments (on les a toujours assez tôt), ce sont des expé­riences.

Colette Nys-Mazure ancre sa poésie dans le quotidien, mais son œuvre n'est pas pour autant assimilable au courant minimaliste qui revendique son insignifiance et nous sert un brouet indigent et trivial sous cou­vert de dépouillement et de simplicité. Il y a au contraire chez Nys-Mazure une re­cherche de la quintessence insaisissable : Rien ne demeure tel que donné au premier re­gard. Perforer l'apparence. Métamorphoses, incessantes, exténuantes. L'anthologie se termine par Demeure No­made, un recueil inédit qui paraît en même temps que Seuils de Loire. Ces textes ont été écrits à l'occasion de deux résidences d'écri­vain, la première à la villa Mont-Noir, la se­conde à Rochefort-sur-Loire. Colette Nys-Mazure tient non seulement à ces moment d'éloignement (elle estime que si elle ne se tenait pas, à intervalles réguliers, tel un mé­tronome opiniâtre, sur cette avancée, elle per­drait une chance d'entendre les voix du monde, d'y mêler la sienne) mais elle s'en sert comme de véritables générateurs d'écri­ture là où tant d'autres les considèrent comme de simples vacances. Eric Brogniet considère que les textes en prose sont complémentaires de son travail poé­tique sur le plan de la démarche intérieure : la prose comme un geste d'ouverture vers l'autre, un don apaisant, le poème comme creusement de l'intériorité et des obscurités mais aussi des éblouissements de l'auteur. Avec ces deux nouveaux recueils, il est pos­sible d'appréhender en une fois toutes les facettes de l'écriture de Colette Nys-Mazure puisqu'ils sont composés comme des jour­naux où se côtoient des poèmes en vers, des petits textes introspectifs en prose qui ré­agissent à la fois au lieu, aux gens qui s'y trouvent et aux œuvres de ceux qui y s'en sont nourris.

Dans Demeure Nomade, Colette Nys-Ma­zure dialogue principalement avec Margue­rite Yourcenar, qui habita la villa Mont-Noir et dont elle reproduit des fragments. Elle renoue aussi tout naturellement avec sa veine féministe. Dans Seuils de Loire, elle compare avant tout la région qui l'accueille avec les paysages familiers et toujours inspi­rants de l'Escaut et dialogue avec les poètes de l'école de Rochefort qui lui sont chers, René Guy Cadou en particulier. Gageons que le lecteur, comme Werner Lambersy qui préface Seuils de Loire, ne boudera pas son plaisir en retrouvant ce chant discret, cet hymne à la vie fragile, cette joie un peu fébrile et même inquiète et ces bonheurs d'écriture sans pose ni façons.

Thierry Leroy