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Critiques de livres


Vera FEYDER
Un manteau de trous
Le Grand Miroir
2005
145 p.

Regarder les rêves tomber. Et trouver sa vocation

I1 y a plus d'une façon (et l'une n'em­pêche pas l'autre) de lire Un manteau de trous de Vera Feyder. Tout d'abord, ainsi que l'auteure l'a voulu : comme une autobiographie (celle des années noires de son enfance) ; ensuite comme le livre qui relie les fils de son œuvre (on pourrait même dire, paradoxale­ment, qu'il est à l'origine de ses prédé­cesseurs) ; enfin comme un chant d'amour à sa mère, Elise. On voudrait ajouter qu'il est un magnifique et ter­rible roman d'enfance comme peuvent l'être ceux de Charles Dickens, de la comtesse de Ségur, ou plus proche de nous, ceux d'Amélie Nothomb ; qu'il est aussi un roman de formation. Et qu'il n'est aucunement nécessaire de connaître Vera Feyder et son œuvre pour y plonger et en ressortir boule­versé.

Un manteau de trous est le premier des livres de l'auteure de La Derelitta à être entièrement autobiographique. Jus­qu'ici, elle avait pu écrire des poèmes qui disaient une part de sa vie, un livre sur Liège (aux éditions Champ Vallon, 1992), qui en racontait quelques-uns des épisodes ; nourrir certains de ses ro­mans de la matière de ses amours et déjà de son enfance (ce qu'elle montre, dans Un manteau de trous, en mettant en concordance les événements et les livres qu'ils ont irrigués), mais jamais elle n'avait tenté la démarche autobio­graphique (ou son avatar, l'autofiction). Non seulement parce qu'elle est une partisane de l'écriture d'imagination, mais aussi parce qu'elle ne le pouvait pas, ne se l'autorisait pas. Elle savait que ce serait une douleur insupportable defaire ressurgir des choses qu'elle avait enfouies pour vivre malgré tout ; elle ne voulait pas que sa mère chérie apprenne les difficultés et les souffrances qu'elle lui avait cachées par générosité ; elle pensait qu'écrire sur le temps de son en­fance pourrait s'avérer le chant du cygne de l'écrivaine qui vit en elle (au moment de la rédaction de cette cri­tique, elle ignore toujours si c'est un phantasme ou la réalité : en tous les cas, elle n'a pas recommencé à écrire). L'enfance de Vera Feyder, on l'aura compris, s'est déroulée dans la misère, dans les séparations répétées d'avec sa mère qui n'avait pas assez d'argent pour l'élever, dans la crainte de la maladie et de la mort (la phtisie pouvait se déclarer à tout moment), dans l'anorexie, dans l'absence (et l'espoir vain d'un retour) du père déporté puis mort en camp de concentration. Oui, son enfance a été un trou noir avec seulement quelques rayons de lumière (entre autres l'opéra, le cinéma, les animaux) à peine éclairants.

 A peine apparus déjà disparus. Parce que Vera Feyder voit/vit toujours ce qui vient gâcher le bonheur possible. Par exemple, les dimanches où Elise ve­nait lui rendre visite étaient toujours ca­riés par l'idée de leur séparation annon­cée, en fin de journée. Avec ce livre, on comprend comment la misère a marqué Vera Feyder en pro­fondeur et à quel point le parcours pour y échapper était semé d'embûches. Qu'il était sans issue malgré le leurre (le moteur) du rêve (du mensonge, de la fiction). Petite, un jour qu'elle a vu une fille danser magnifiquement, elle s'est rêvée danseuse. Ce qui lui a valu une de ses pires humiliations et une de ses plus impressionnantes reparties. Puis, après avoir vu un film sur Chopin, elle s'est imaginée pianiste. Cela n'a pas davan­tage fonctionné malgré les sacrifices ma­ternels pour lui payer des leçons de piano.

La comédie lui réussira davan­tage, même si elle n'a pas fait la carrière qu'elle souhaitait : elle partira à Paris et montera sur les planches. Au final, c'est l'écriture qui lui apportera le plus de contentements (même si, on le sait, les écrivains sont des êtres toujours insatis­faits), c'est elle qui lui permettra de transformer la boue de son enfance en or véritable. Notamment dans ce Man­teau de trous dont la plus belle victoire est de fonctionner, malgré l'égotisme de la démarche, comme une fiction — une fiction qui dirait la vérité —, une fiction à la hauteur de celles de ses écrivains fé­tiches (Conrad, Melville, London...). Et si ce n'était cette incantation à Elise qui vient refermer le Manteau comme on scelle un tombeau, on voudrait le voir se prolonger en une suite pareille­ment écrite qui raconterait l'arrivée à Paris, les galères de la comédienne, la naissance à l'écriture, une vocation qu'elle ne semble pas avoir rêvée et qui pourtant (et peut-être à cause de cela) est véritablement la sienne.

Michel Zumkir