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Critiques de livres

Rémy Gallart, Francis Saint-Martin
Bob Morane. Profession aventurier
Paris
Les Belles Lettres - Encrage
287 p.

Le bon genre d'Henri Vernes
par Joseph Duhamel
Le Carnet et les Instants n° 151

L'oeuvre d'Henri Vernes est depuis quelques années l'objet d'études qui mettent l'accent sur l'intérêt spécifiquement littéraire de la série des Bob Morane. Gallart et Saint-Martin en proposent une approche systématique qui part de cette évidence pour en décliner toutes les conséquences : Morane est, au moins au départ, un héros de série populaire. Le héros n'a donc rien de révolutionnaire, est un «héros convenu», classique qui partage avec ses «modèles» quantité de traits, par exemple son goût pour l'aventure ou ses multiples capacités. Mais ce héros est aussi plus complexe : il peut être vaincu — même par une femme —, devenant ainsi plus vraisemblable. La série innove aussi par le fait que Vernes passe d'un genre à l'autre, alors qu'un héros populaire est la plupart du temps cantonné dans un seul. Si le modèle du roman d'aventure, surtout l'aventure postcoloniale, prédomine largement, il se teinte de la couleur d'autres genres. Le récit est souvent centré sur la découverte de territoires inconnus, de lieux d'accès difficile; si elle se déroule sur l'océan, l'aventure ouvre aussi bien à une dimension scientifique que fantastique. L'histoire peut comporter une dimension d'espionnage, le héros, porteur des valeurs de l'Occident chrétien, devant déjouer les plans d'une puissance hostile (qui n'est pas nommée, car il ne fallait pas fâcher l'URSS); le roman peut prendre encore un aspect policier, ou mettre en scène des complots et révolutions; s'insérer dans les modèles de la science-fiction. Et plus encore, jouer avec les frontières du fantastique, que Vernes ne révolutionne pas mais auquel il «reste fidèle en condensant une partie des thèmes qui ont fait son succès».

Tel est l'enjeu littéraire : épouser la tradition du roman populaire, celle des séries en particulier, avec les règles contraignantes qu'elles imposent, mais en en transgressant les codes de façon douce». C'est donc plutôt en termes de reprises, continuations, recadrages qu'il faut appréhender la démarche de Vernes. Conçues comme un produit de consommation destiné à des lecteurs qu'il fallait fidéliser par l'effet de surprise, les aventures de Morane s'inspirent de tous les genres de la littérature de l'imaginaire. Et il n'était pas si évident de «brasser tous ces mythes sans que [le] personnage ne s'y noie».

Gallart et Saint-Martin étudient encore les rapports entre Vernes et Jean Ray, qui outre des clins d'oeil amicaux, partagent une attitude de démarquage par rapport à leurs antécédents littéraires. Et surtout, avant une partie où ils proposent d'intéressants résumés-analyses de chacun des Bob Morane, ils abordent la question de «Vernes & C°» : Dewismes n'a pas écrit lui-même tous les titres de la série. Dépassant la simple curiosité de «qui a fait quoi», les auteurs en envisagent les conséquences littéraires, par exemple les différences par rapport à la structure classique en treize étapes. Ce qui ouvre à de prometteuses pistes d'études futures, sur ce qui fait la cohérence et le succès d'une série.